Le digital continue à transformer le métier des études

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Survey-Magazine : IA, Machine learning, Blockchain... Quelle technologies vous semblent prometteuses dans le domaine des études ?

Philippe Guilbert : Le digital a profondément transformé le métier des études depuis 20 ans, en révolutionnant d'abord la collecte avec les enquêtes en ligne et l'émergence d'access panels de millions de consommateurs. Nous sommes maintenant dans l'ère de la data avec toutes les opportunités créées par les nouvelles sources déjà existantes (mobile, réseaux sociaux…) et les nouvelles méthodes de traitement de cette masse de données (data sciences, IA).

La data n'est pas une fin en soi, la priorité est aujourd'hui de savoir en tirer des connaissances, des insights utiles pour les clients. Bien sûr, les traitements statistiques « classiques » sont toujours indispensables pour fournir les principaux indicateurs, tandis que les méthodes avancées de modélisation et d'analyse multivariées bénéficient aujourd'hui données enrichies en quantité et diversité et sont donc encore plus intéressantes à mener. Ces méthodes statistiques dites « traditionnelles » sont d'ailleurs au cœur de l'IA, il ne faut pas l'oublier ! Mais ce qu'apporte l'IA et plus particulièrement le Machine Learning est la capacité à auto-apprendre et à traiter des flux de données en temps réel : sans cette automatisation, le Big data a peu d'intérêt. Le Machine Learning, et notamment le Deep Learning, vont peut-être permettre de réaliser les promesses pas toujours tenues du Big data…
Cependant, les liaisons statistiques détectées par ces algorithmes ne sont pas obligatoirement des liens de causalité : plusieurs exemples ont montré que l'IA peut générer des biais d'analyse et aboutir à des stéréotypes sexistes ou racistes qu'aucune étude classique quali ou quanti ne pourrait cautionner ! D'où les demandes de plus en plus fréquentes de transparence sur le fonctionnement des algorithmes. Cela justifie aussi de combiner les approches classiques et le Machine Learning pour réellement approfondir les insights et non les dégrader !

Un autre thème de transformation digitale vient d'apparaître avec la Blockchain et ses implications pour les études, notamment pour l'échantillonnage. L'idée est que la technologie blockchain permettrait d'éviter les fraudes de répondants (bots…) et faciliterait la gestion des incentives avec les micro-paiements et smart contrats. En fait, les principaux access panels savent déjà bien gérer ces points et il serait illusoire de penser qu'ils suffisent à constituer des échantillons représentatifs et obtenir des réponses de qualité : le savoir-faire dans la gestion des contacts, des relances, dans la gestion des profils et la mise en forme de questionnaires souvent trop longs sont au moins aussi importants. Il est peu probable de voir des changements significatifs pour les études dans les 3 ou 5 prochaines années. Une autre idée en discussion concerne toutes les datas de transaction qui pourraient ainsi être accumulées sur des personnes identifiées de manière certaine : on retrouve le mythe de la mégabase qui rendrait toutes les enquêtes inutiles, qui a concerné tout d'abord les méga-questionnaires insérés dans les paquets de céréales pour ensuite réapparaître avec le big data et maintenant le blockchain ! Même si les problèmes de format de données encryptées de la blockchain est résolu, il difficile d'imaginer que cette data répondra à tous les besoins et pourra être utilisée sans restrictions avec le nouveau règlement européen de protection des données (RGPD) qui fait des émules dans les autres régions du monde (Californie, Japon…). Le secteur des études doit bien sûr respecter ce RGPD, qui a notamment suscité la nouvelle version du Code international ICC/Esomar et la préparation en cours d'un Code spécifique UE. Il sera intéressant de refaire le point sur la Blockchain en 2020 ou après pour voir si des changements économiques ou technologiques finissent par avoir des conséquences sur notre métier.

Quelle sont les nouvelles perspectives pour les professionnels des études ?

La révolution des enquêtes en ligne a permis d'accélérer leur production et d'en diminuer le coût, sans toujours modifier en profondeur les types d'études proposés (notoriété/image, test de concept, ad test, U&A, satisfaction…). La révolution actuelle de la data et de l'IA a beaucoup plus d'impact en bouleversant non seulement la production mais aussi l'offre même des instituts.

IL FAUT COMBINER LES APPROCHES CLASSIQUES ET LE MACHINE LEARNING POUR APPROFONDIR RÉELLEMENT LES INSIGHTS

Comme dans d'autres secteurs innovants, le partage et le collaboratif se sont développés, notamment dans les groupes de travail de Syntec Etudes sur les nouvelles méthodes et solutions. Les stratégies peuvent varier selon les acteurs, certains mettent l'accent sur le conseil et l'accompagnement, d'autres sur l'automatisation, mais il est clair que chacun doit se réinventer car les instituts n'ont plus le monopole de la data.

Nous avons de vrais avantages par rapport aux purs spécialistes des analytics et du web social en sachant combiner la data existante aux enquêtes : l'hybridation de la data et des méthodes permettent d'éviter les biais et les dérapages des processus automatisés sans contrôle de la « boîte noire ». Un groupe de trafvail de Syntec Etudes se penche actuellement sur l'intérêt des échantillons représentatifs face aux nouveaux modes de collecte qui proposent de la data et des insights sans chercher à couvrir l'ensemble de la population : les premiers échanges montrent la complémentarité des approches plutôt que leur concurrence. Les discussions avec plusieurs annonceurs confirment que les méthodes éprouvées restent des références utiles. L'échantillon représentatif reste souvent une source de référence indispensable pour un cadrage global, quitte à le compléter avec d'autres sources de data pour repérer en temps réel des tendances émergentes.

Le RGPD redéfinit-il certains aspects de la profession ?

Les études marketing et opinion sont bien sûr concernées par la protection des données car elles manipulent une masse croissante d'informations personnelles. Rappelons-nous que plusieurs pays disposaient déjà d'une réglementation (Loi Informatique et Libertés en France par exemple) et que les principes d'anonymat, de confidentialité et de sécurisation étaient déjà au cœur du Code déontologique ICC/Esomar et de la pratique des principaux acteurs du marché français. À l'inverse, des nouvelles sociétés comme Cambridge Analytica, qui a d'ailleurs gagné en 2017 un prix prestigieux de la recherche aux États-Unis (David Ogilvy Award de l'ARF), semblaient se sentir moins concernées par ces questions… Le RGPD est heureusement en train de changer tout cela en imposant les mêmes contraintes à toutes les entreprises quelles que soient leurs implantations locales ! La conformité RGPD devient aussi un élément de réassurance des clients qui peuvent avoir une co-responsabilité sur la protection des données. Les instituts n'ont donc pas attendu mai 2018 pour se préparer au RGPD, la plupart travaillent à la mise en conformité depuis de nombreux mois. Depuis deux ans, Syntec Etudes et Esomar ont également organisé plusieurs réunions d'information pour les aider dans cette tâche, et des documents Esomar comme la checklist et le GDPR Guidance Note permettent de savoir quels cas concrets sont concernés dans nos métiers. L'organisation internationale propose également Esomar Plus, un service d'aide à la mise en conformité pour les instituts, les fournisseurs et les clients des études… Un Code spécifique UE est en cours d'élaboration par Esomar en relation avec les autorités européennes pour permettre d'attester sa conformité au RGPD : en attendant, chacun peut suivre la démarche préconisée par la CNIL en 4 étapes (registre des traitements, tris des données, respect des droits de personnes, sécurisation) et consultable sur son site.

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