Datas et logiciels de campagne sont-ils essentiels pour gagner une élection ?

Campagne électorale

Nous pouvons transposer au domaine politique ce que le marketing nous a appris. Si un parti est une marque, le candidat est à mi-chemin entre le produit et la marque. Son programme c’est son « produit ». Dès lors, il apparaît évident de devoir considérer l’électeur comme un « consommateur » qu’il conviendra de séduire. L’acte d’achat devient ce moment où il glissera le bulletin de vote du candidat dans l’urne. Connaître au mieux ce « consommateur » de programmes politiques c’est permettre aux stratégies de communication électorale de mieux coller aux attentes spécifiques des électeurs.

I. Le monde politique

A. Avant Internet

En France, c’est le candidat Valéry Giscard d’Estaing, qui est l’un des premiers, pour la campagne présidentielle de 1974 à développer une campagne dite « à l’américaine », en se faisant conseiller par Joseph Napolitan, le responsable communication d’un certain John Kennedy.

Avec son staff de campagne, il construit une stratégie de campagne optimisée grâce à de nombreux sondages (ce qui est une nouveauté). Il va notamment comprendre la nécessité de réduire la distance séparant son image d’aristocrate, d’intellectuel et de technocrate de celle du français moyen. Sa mise en avant sur ses affiches de campagne avec sa plus jeune fille et l’importance du recrutement de jeunes pour animer sa campagne vont transformer cette image distante et élitiste en le présentant davantage en jeune père de famille, moderne et « de son temps ».

Le slogan « Giscard à la barre ! » est un vrai succès publicitaire, simple, direct et mémorisable et des milliers de tee-shirts sont imprimés. Une autre stratégie de rapprochement avec des stars populaires comme Johnny Hallyday, Daniel Gilbert, Charles Aznavour, Sheila, Mireille Mathieu… est mise en place, la peopolisation de la vie politique commence bel et bien et contribuera à la popularité du candidat qui deviendra Président de la République. En 1981, les sondages sont devenus une évidence incontournable à toute stratégie électorale et débarquent en complément des tee-shirts, des badges, des ballons, de chapeaux, ou des disques avec des chansons de soutien comme la chanson « Ensemble, maintenant, Jacques Chirac président ». Il y aura même des boites d’allumettes et des parasols qui arboreront le nom de François Mitterrand.

Tous les partis s’y mettent et l’image de modernité et de proximité construite par Giscard ne suffira pas à le faire préférer des électeurs lors de l’élection de 1981. Les professionnels de la communication, Jacques Séguéla en tête (auteur de « La force tranquille » de François Mitterrand en 81), prennent toute leur place pour conseiller les politiques qui ne se contentent plus de leurs propres idées, de leurs réseaux et de leur charisme pour s’imposer.

B. Internet et l’avènement des médias sociaux et des datas

Il y a un avant et un après Internet, là aussi avec un temps de retard pour les politiques, Internet est, au début de son existence, entre 1996 et 2008 un outil marketing parmi d’autres. Il va servir à mieux organiser la logistique des campagnes et permettre de mettre en avant des sites vitrines des candidats et des partis. Ces sites Internet étaient assez statiques travaillant surtout pour l’image des candidats mais avec une audience relativement faible et un impact limité.

Les fonctions de forums de discussions marquent les prémisses de la démocratie 2.0, mais il s’agit surtout, pour les candidats, de se donner là encore une image moderne, dans l’air du temps, ce qui n’est déjà pas si mal.

Le mouvement s’accélère avec l’avènement des réseaux sociaux qui va aller de pair avec une meilleure identification de ce que sont, individuellement, les internautes et la collecte des données permettant de mieux les cibler publicitairement. Quelle est la personnalité des internautes, qu’aiment-ils, que pensent-ils, que consomment-ils, quand, pourquoi, à quelle fréquence etc. ?

Réseaux sociaux et datas vont s’inviter dans les stratégies des campagne publicitaires puis, avec un peu de retard, dans les stratégies électorales. Tout le monde en est convaincu, dès lors, le recueil, la gestion et l’analyse des données, ces fameuses datas, vont permettre de mieux connaître les spécificités, les attitudes et attentes des électeurs, qui sont maintenant tous internautes. Ce que cela permet ? L’ultra-ciblage, donner le bon argument à la personne qui y sera sensible, et pousser la logique encore plus loin « le bon message, à la bonne personne, au bon moment ». À cela on pourrait ajouter « et de la meilleure des manières » (messages facebook ciblés, porte à porte, courriers adressés, tracts…). On va toucher un nombre important d’électeurs en prenant en compte leurs spécificités, leur unicité afin de générer plus d’impact et de précision à notre communication. Si cette méthode fonctionne dans un contexte commercial, cela peut se révéler aussi efficace dans un contexte politique ! Les candidats utilisant une telle approche disposeront d’un avantage concurrentiel certain.

C. Les logiciels de stratégie numériques, une révolution ?

Avant les hommes politiques avaient besoin des médias pour exister. Depuis une dizaine d'années les hommes et les femmes politiques sont devenus eux-mêmes des médias. Plus besoin de passer exclusivement par les radios ou la presse pour exister aux yeux des citoyens. Maintenant, n’importe quel « petit » élu, dispose ainsi avec Internet, d’un compte Twitter, d'un compte Facebook, où il pourra diffuser ses opinions, ses projets, ses réalisations avec des textes illustrés de photos et, de façon plus facile depuis deux ou trois ans, de vidéos.

Gérer et organiser ces différents supports, coordonner ces émissions de messages, apprendre à répondre aux sollicitations numériques des citoyens, parfois à leurs invectives, nécessite une certaine maîtrise de son positionnement, de ses valeurs, de son image, et de son discours. Les politiques se forment à ces nouveaux médias et apprennent à coordonner et adapter leurs communications. Ils se font aider par des communicants et des community managers dont l’importance dans les dispositifs de campagne et d’exercice de mandat(s) ne cesse de croitre. La maîtrise de cette première étape de la stratégie électorale est essentielle et la plupart l’ont déjà compris. Des logiciels vont apparaître pour viser cette fois, de passer du push (aller vers les citoyens-électeurs) au pull (attirer les citoyens-électeurs à soi).

C’est ainsi qu’apparaît NationBuilder en 2009, un outil communautaire de stratégie de campagne politique avec une vraie nouveauté : la mise en valeur du collectif, en permettant l’animation d’une communauté des militants destinée à aller à la rencontre de communautés d’électeurs. Il va permettre d’intervenir sur 4 domaines clés :

- Le site Web, en responsive et qui va collecter des données sur ses visiteurs,
- Une communauté de militants agissant sur le terrain et guidés par le biais du logiciel (logique d’empowerment), leur permettant de se déployer précisément sur les zones abstentionnistes, favo-rables au candidat, ou défavorables (mais avec un discours et des outils adaptés etc.). Les militants enrichissent ainsi la base de données des électeurs afin de mieux les cerner dans leurs spécificités et attentes, pour mieux les recontacter ensuite,
- Des outils de dons en ligne sécurisés pour compléter le budget de campagne du candidat,
- La communication : interne avec des mails, sms, messages à l’attention de la communauté des militants pour l’organiser et la motiver, mais aussi en externe avec des posts, tweets, sms et messages à destination des citoyens répertoriés et qualifiés dans la base de données.

Pour autant, ces logiciels feront ils gagner leurs utilisateurs ? Et au-delà, le risque n’est-il pas aussi de démultiplier les discours et les argumentaires pour essayer de plaire au plus grand nombre en négligeant des arguments de campagne forts et spécifiques, la colonne vertébrale de toute stratégie électorale respectable ? La stratégie du caméléon peut-elle être compatible avec la politique qui sera effectivement menée par le candidat une fois élu ? La déception qu’engendrera son non-respect chez les électeurs ne provoquera-t-elle pas encore plus d’éloignement vis-à-vis des politiques ?

Enfin, lorsque que l’on sait que pour l’élection municipale d’une ville de 20 000 habitants en 2020, en France, la part remboursée du budget de campagne d’un candidat tournera autour 15 000 euros, on peut s’interroger sur sa capacité financière à mettre en place une campagne numérique à la fois pour organiser les actions militantes et pour toucher les électeurs. D’autant qu’il va être difficile de se passer des frais habituels d’une campagne de proximité : prospectus, affiches, lettres, réunions publiques, etc. Et au-delà de ça, maîtriser un logiciel de campagne communautaire, cela implique de disposer d’une personne dédiée qui, si elle est compétente, ne sera pas forcément bénévole.

II. Fracture numérique ? Les « petits » candidats d’un côté, les grosses machines politiques de l’autre ?

Les outils existent et vont permettre à de « petits » candidats de mettre en place, avec méthode et discernement, une approche inspirée de la révolution numérique et de la gestion des données. Cette méthodologie a été adoptée par les auteurs de cet article sous l’appellation GéoPoli dans le cadre des élections départementales de Loire Atlantique en 2015, sur quatre cantons.

A. Connaitre son territoire et ses populations, aller chercher des statistiques et faire quelques calculs simples (additions et moyennes)

Les données INSEE sont disponibles gratuitement et accessibles, cartographiées sur le site geoportail.gouv.fr, on y dispose des informations suivantes : densité de la population, part des moins de 18 ans et des plus de 65 ans, niveau de vie. L’information est ainsi présentée dans un carreau de 200 m de côté. Il s’agit du maillage le plus fin qui existe pour la diffusion de l’information statistique en France.

En superposant la délimitation des bureaux de vote aux données INSEE géolocalisées, on peut obtenir des données précises sur les items précités qui vont nous aider à cibler nos actions et contenus de communication en fonction des bureaux électoraux, et plus spécifiquement, même à l’intérieur de chaque bureau puisqu’on peut disposer d’informations précises sur des zones de 200m de côté (schéma 1).

C’est une première étape, mais on poussera plus loin avec les données de zones IRIS, là aussi dispo-nibles en open data. Les zones IRIS vont concerner des zones géographiques plus étendues mais vont pouvoir aider à définir d’autres caractéristiques locales : taux de chômage, mobilité professionnelle, niveaux de diplôme, locataires ou propriétaires, etc.


Niveau de vie et densité par carreau de 200 m de coté (Données INSEE sur Geoportail)

Schéma 1 : Niveau de vie et densité par carreau de 200 m de coté (Données INSEE sur Geoportail)

Cette base de connaissances sociologiques, enrichie de données INSEE concernant l’évolution démographique ainsi que l'évolution des CSP sur la commune vont permettre de mieux comprendre la population à qui on va s’adresser (voir le tableau 2).


Données INSEE sur zone IRIS transposées à la localisation géographique des bureaux de votes (Réalisé par les auteurs – GéoPoli à partir de données INSEE)

Schéma 2 : Données INSEE sur zone IRIS transposées à la localisation géographique des bureaux de votes (Réalisé par les auteurs – GéoPoli à partir de données INSEE)

B. S’intéresser à l’évolution des votes, bureau par bureau

Là aussi les données sont publiques, elles se trouvent la plupart du temps auprès des municipalités ou en préfecture. Il est essentiel de mesurer les dominantes électorales de tel ou tel bureau de vote, en croisant ces données avec les éléments d’information sur l’électorat. Il faudra mettre en évidence une tendance d’évolution, (un bureau de plus en plus à droite ou à gauche, ou abstentionniste, etc.) en indiquant si la tendance politique de chaque bureau est plus marquée que pour la moyenne de l’ensemble des bureaux, et si cette tendance progresse ou régresse, en prenant en compte les dernières élections (voir le schéma 3).


Schéma 3 : Positionnement et évolution politique des différents bureaux de vote (Réalisé par les auteurs – GéoPoli)

Schéma 3 : Positionnement et évolution politique des différents bureaux de vote (Réalisé par les auteurs – GéoPoli)

Les différentes tendances des bureaux de votes, et leur évolution, vont nous permettre d’envisager les « points de pression » à mettre en place dans le cadre d’un porte à porte (ou autres actions de communication) ainsi que de définir le « profil type » du public à aller rencontrer. Les éléments d’informations sociodémographiques vont nous permettre d’affûter les arguments à mettre en avant pour mieux convaincre les électeurs rencontrés ou touchés par notre communication (voir le schéma 4).


Schéma 4 : Détermination d’un tracé prioritaire pour actions de communication avec ar-gumentaire spécifique à chaque bureau (Réalisé par les auteurs – GéoPoli)

Schéma 4 : Détermination d’un tracé prioritaire pour actions de communication avec ar-gumentaire spécifique à chaque bureau (Réalisé par les auteurs – GéoPoli)

C. Travailler le contenu programmatique, l’adapter et le diffuser

Recueillir des informations et des données qualifiées sur les électeurs, qui seront complétées par d’autres outils simples à mettre en place va permettre la rédaction des thématiques du programme.

On peut par exemple rédiger un questionnaire sur la qualité de vie et les préoccupations des habitants en utilisant Google Form (facile à mettre en place et gratuit). On pensera à demander aux participants de renseigner le maximum d’éléments concernant leur zone géographique, leur profession, âge, mais aussi pour ceux qui le souhaitent, des données plus personnelles (nom, adresse mail et numéro de téléphone). Le candidat va faire la promotion de cette enquête sur son site Internet, sur des prospectus, sur des affiches, et sur sa page publique Facebook, en sponsorisant les posts (en utilisant la géolocalisation publicitaire proposée par Facebook) avec mise en avant du lien Google Form du questionnaire en ligne. Nous allons pouvoir également segmenter les répondants en fonction de leurs réponses aux questions fermées et/ou ouvertes. Il sera possible, en utilisant la liste électorale de trouver l’adresse des répondants et de les contacter physiquement lors d’un déplacement en porte à porte ou via une communication web ou papier ciblée et adaptée à son profil et ses aspirations.

L’historique et les spécificités locales, les discussions informelles (marchés et porte à porte), les échanges facebook, les données sociodémographiques INSEE/ IRIS, les résultats de sondages (papier, on-line, téléphone), les données politiques par bureau… Tout cela va donner la matière première qui va permettre de :

1/ Définir les thématiques du programme, la colonne vertébrale (à réajuster au fil des rencontres)
2/ Définir les arguments et thématiques à mettre en avant en fonction des électeurs des différentes zones géographiques de notre commune/des différents profils d’électeurs lors des déplacements actions destinées à les toucher
3/ Définir un parcours de zones à presser (tractage, mailings, e-mailings, sms, porte à porte) en fonction des critères retenus (abstentionnisme, couleur politique dominante, tendance d’évolution politique, profils de citoyens, etc.)
4/ Rester humaniste, sincère, empathique
5/ Gagner l’élection et faire un mandat utile à la population

En conclusion, les outils existent bel et bien. Parmi ceux-ci les logiciels de mobilisation tiennent une place croissante, néanmoins ils nécessitent une logistique, une maîtrise et des moyens financiers parfois hors de portée pour des candidats de villes ou de circonscriptions modestes. Le point essentiel reste d’appréhender au mieux ses différentes communautés d’électeurs, de comprendre leurs attentes et de connaître son territoire pour élaborer le projet qui leur correspondra le mieux. Pour cela, nombre de données sur les habitants sont de plus en plus accessibles en open data, libre à chacun de se les approprier à bon escient. Internet met en complément des outils sociaux gratuitement à disposition des candidats et de leurs équipes pour leur communication.

Réussir son élection ne tient pas qu’à une maîtrise des outils et à une compilation de données sur les électeurs mais cela va permettre de comprendre, de hiérarchiser les arguments et les actions pour donner plus de pertinence, de visibilité et d’impact à sa campagne. De la curiosité, de l’analyse, du bon sens et le dynamisme d’une équipe motivée compléteront à merveille la connaissance du terrain et de ceux à qui le candidat va s’adresser.

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