Le renouveau des enquêtes transport

Le renouveau des enquêtes transport

Depuis les années 1970 les opérateurs de transport cherchent à évaluer les besoins et les pratiques des voyageurs afin de mieux dimensionner leurs infrastructures. Ce besoin a donné naissance aux enquêtes transports et notamment aux études origines-destinations, pratiquées aujourd’hui par la très grande majorité des opérateurs de transports publics.
Au besoin purement technique de connaissance des cheminements de voyageurs sont venues se greffer ces dernières années d’autres préoccupations. L’arrivée en force de la notion de client dans le champ du transport a notamment conduit à étendre les investigations à l’étude de la perception des transports par les voyageurs.
Historiquement, seuls les très grands réseaux ou très grandes agglomérations conduisaient des enquêtes lourdes et sophistiquées. Aujourd’hui, avec l’évolution du paysage institutionnel et notamment la création des communautés d’agglomération, la demande d’enquêtes s’est diversifiée notamment au travers du besoin des agglomérations d’évaluer la performance de leurs délégataires de transport.
Malgré le niveau important de la demande, la forte technicité du métier constitue une barrière à l’entrée importante pour les nouveaux arrivants. Aussi, le marché est-il fortement concentré entre les acteurs historiques (Sofres, BVA…) ou liés aux grands opérateurs (Effia/SNC, Transétude/Keolis…) et les arrivants des années 1990 (Tests, MMC…) et quelques sociétés plus récentes (Estac à Marseille, Epsilon à Bordeaux, Tryom à Lorient…).
Survey-Magazine a rencontré Christian Bernard, PDG de l’institut MMC, pour examiner les différents éléments et enjeux liés aux études transport.

SM : Comment se porte le marché en ces temps de crise ?

L’activité d’études transport est actuellement soutenue par la demande des autorités organisatrices dont les besoins restent les mêmes : disposer de données aussi précises que possible sur la demande de déplacements, sur les pratiques des usagers des réseaux de transports collectifs. Ainsi, il est quasiment incontournable pour une grande ou moyenne agglomération de réaliser tous les 4 à 5 ans une enquête origines-destinations sur son réseau. De même, les grandes métropoles urbaines font réaliser tous les 7 à 10 ans une vaste Enquête Ménages Déplacements qui concerne tous les modes de déplacements. Les agglomérations moyennes s’y mettent également dans la mesure où le mode de collecte des enquêtes par téléphone, aujourd’hui admis, rend ce type d’enquêtes plus abordable. Par conséquent, il existe un volant d’activité incompressible qui assure un matelas au marché.
Par ailleurs, il est indéniable que le Grenelle de l’Environnement a suscité des envies nouvelles d’investissement chez les acteurs du transport public qui se traduisent par des besoins accrus d’enquêtes. Le plan de relance contribue également à nourrir ces volontés d’investissement.
En parallèle, les grands opérateurs (SNCF, RAPT, Keolis, Véolia, Transdev …) ne peuvent se passer de données sur les pratiques des voyageurs, sur leur niveau de satisfaction, sur leur appréciation de l’offre de transport et de services associés au transport. Ces données leur sont indispensables pour optimiser des moyens généralement contraints pour un meilleur service rendu et une réponse aux attentes des autorités organisatrices.
En 2008, presqu’un tiers des appels d’offres dans le secteur concurrentiel s’est traduit pas le choix d’un nouvel opérateur par l’autorité concédante ; cette exacerbation de la concurrence entre opérateurs contribue à ce que personne ne puisse faire l’impasse sur une bonne connaissance de son marché, que ce soit l’exploitant en place… ou le compétiteur qui convoite sa place. Quelques exemples récents ont montré à quel point la qualité des études de clientèle jointes aux réponses des candidats pouvaient faire pencher la balance.
Les observateurs du marché auront par exemple remarqué le remarquable effort entrepris par le groupe Keolis depuis 2007 dans le cadre des « Keoscopies » (www.keoscopie.com) pour lancer des projets d’enquêtes innovants… et le faire savoir !
Naturellement, si les besoins existent, les clients sont certainement plus vigilants sur l’emploi de leurs budgets et les instituts doivent veiller à optimiser leur fonctionnement afin d’obtenir une qualité accrue dans un contexte de pression sur les coûts.

SM : Quelles sont les évolutions les plus marquantes dans les besoins des clients ?

Le métier de « transporteur » évolue. A ce titre, deux préoccupations importantes des organisateurs et des transports offrent de nouveaux terrains d’activité aux instituts d’études. La première semble classique ; il s’agit de répondre à la question : « comment séduire plus de clients ? », ce qui se traduit plutôt par « comment répondre aux besoins de mobilité des personnes en les détournant d’un usage réflexe de la voiture particulière ? ». En effet, la réponse aux besoins de mobilité doit s’affiner, doit accompagner la plus grande individualisation des motifs et des périodes de déplacement. Par exemple, les transports publics sont les plus performants en heures de pointe, mais une proportion grandissante des déplacements n’a pas lieu en heures de pointe. La déconstruction des rythmes de travail, la tendance à la périurbanisation, tout comme la revitalisation des centres villes, tous ces facteurs conduisent les acteurs à se poser plus de questions sur les comportements des clientèles ciblées … En second lieu, transporter des personnes ne se résume plus uniquement à faire circuler des véhicules d’un arrêt à l’autre ; un transporteur se doit de réfléchir aux offres associées au transport qui lui permettront de battre en brèche la voiture, mais aussi de cohabiter avec elle comme avec les autres modes ; des services associés au transport vont être proposés afin de valoriser le temps du transport ; de nouvelles questions se posent, par exemple : comment transformer le système billettique en une clef d’accès à une offre complète de mobilité et de services ? Quelle formule d’autopartage, de vélopartage offrir en combinaison avec les transports publics ? Et d’une manière générale, comment susciter le transfert modal de la voiture vers les transports publics ?

SM : Y a-t-il des évolutions techniques marquantes dans la manière de réaliser les enquêtes transport ?

Les méthodologies utilisées sont somme toute bien rodées par plusieurs décennies de pratiques. Par conséquent, les évolutions technologiques en cours vont aider les instituts à apporter des réponses plus adaptées aux demandes des clients sans pour autant révolutionner les méthodes. Il est possible qu’à terme les comptages automatiques de voyageurs puissent progressivement remplacer les comptages réalisés par des « enquêteurs » mais cela restera marginal et limité à des situations bien précises : comptage de flux dans un couloir de métro par exemple, estimation des montées et descentes, comptages de piétons, de véhicules… A vrai dire, ces comptages actuellement réalisés par des enquêteurs-compteurs sont des opérations à faible valeur ajoutée et peu gratifiantes ; et parfois imparfaites comme les enquêtes minéralogiques. Cela ne serait sans doute pas un mal de pouvoir disposer de compteurs-capteurs fiables permettant de discerner et comptabiliser les mouvements de personnes ou de véhicules. Mais aucun fournisseur ne semble encore capable de fournir des solutions économiquement intéressantes.
De la même manière, on a souvent pensé que les systèmes billettiques permettraient de dénombrer la fréquentation des réseaux de transports ; mais ils souffrent de nombreuses limites, ne serait-ce que la propension variable des voyageurs à ne pas valider leur titre de transport. Par ailleurs, les données collectées nous laissent sur notre faim car il n’est pas possible de tracer la totalité du déplacement mais uniquement les entrées sur le réseau. Pour ceci, il faudrait enregistrer et stocker les déplacements de porteurs d’une carte de transport en rapprochant les validations du numéro de client, ce que n’autorise pas la CNIL et ce qui est sans doute une bonne chose pour la sauvegarde des libertés publiques. Ceci dit, l’exploitation intelligente des données billettiques est un thème d’étude en soi !
Par conséquent, la collecte humaine, grâce à des enquêteurs, des données essentielles pour les réseaux restera de mise pendant encore de nombreuses années. L’apport des techniques nouvelles portera donc plutôt sur l’optimisation de la collecte, et pour être franc de l’amélioration de sa productivité. On peut citer les économies possibles sur le poste de saisie des questionnaires grâce à des solutions adaptées de saisie de lecture optique des questionnaires papier. Car le plus souvent, le formulaire papier reste la meilleure solution pour questionner rapidement un voyageur à bord d’un véhicule en mouvement. La saisie directe des enquêtes sur PDA* est une autre piste mais sera certainement d’usage moins répandu dans les enquêtes Transport que dans d’autres domaines. Nos enquêtes mobilisent souvent plusieurs centaines d’enquêteurs pendant peu de journées d’intervention ce qui pose un problème de capacité et d’investissement dans un parc de PDA. Par ailleurs, le type même de questionnement n’est pas adapté aux offres actuelles de saisie sur PDA. La saisie directe de questionnaires par l’enquêteur est donc surtout performante pour les enquêtes « calmes » comme les enquêtes de satisfaction réalisées en face à face.

Autre évolution possible : l’enquête par le web. Plus que dans d’autres domaines, l’enquête web bute sur deux écueils méthodologiques : l’insuffisance des fichiers de voyageurs et la question de la représentativité. Paradoxalement, le transport de voyageurs est une activité de masse mais les fichiers de clients sont partiels car de nombreux voyageurs passent à travers les mailles, comme par exemple les personnes qui ne s’abonnent pas. La diffusion de la billettique devrait permettre d’augmenter la taille des fichiers disponibles comportant des adresses mail. Mais ces fichiers ne sauraient pas représenter correctement la globalité des clients. Les enquêtes web ne peuvent donc pas répondre à tous les besoins d’enquête et leur utilisation doit être murement réfléchie en fonction des objectifs de l’étude. Mais elles peuvent sans doute remplacer certaines enquêtes téléphoniques exploratoires ou venir les compléter.

*L’interview a été réalisée avant l’arrivée sur le marché de solutions mobiles comme Mobi-Survey qui permettent plus de flexibilité de part l’ergonomie des applications mobiles et la connexion en temps réel à Internet en 3G ou localement par Wifi.

SM : Quel est l’impact des démarches qualité dans ce domaine ?

Il y a déjà de nombreuses années qu’on a réalisé que l’on ne conquérait de nouveaux adeptes au transport collectif que par la qualité de l’offre et non pas uniquement par sa simple existence. Il s’agit en quelque sorte de « décollectiviser » l’image du transport collectif en jouant sur le confort, la ponctualité, l’information juste et au bon moment… Dans le même temps, la technologie offrait aux opérateurs des atouts nouveaux : des véhicules réellement plus confortables, plus accessibles, plus spacieux, plus accueillants, des systèmes d’aide à l’exploitation et l’information des voyageurs facilitant la régularité et l’information des voyageurs, une conception des véhicules augmentant le sentiment de sécurité.
Il a découlé de cette conjonction favorable entre offre technologique et besoin de séduire le lancement de démarches qualité qui ont aussi le mérite de mobiliser les entreprises au service d’un objectif fédérateur : plus de qualité, un meilleur service rendu pour une plus grande satisfaction des clients et donc une plus grande reconnaissance du travail de chacun.
Ces démarches qualité impliquent des besoins d’enquêtes assez denses : la mesure de la qualité effectivement procurée aux clients, la mesure de la qualité telle qu’elle est perçue par les clients, c’est-à-dire la satisfaction. Typiquement, pour certifier NF SERVICES une ligne, il faut mesurer en continu si les engagements de services pris vis-à-vis des clients sont remplis, ce qui se fait notamment au moyen d’enquêtes voyageurs mystère ; mais il faut également périodiquement s’assurer du niveau de satisfaction des clients afin d’orienter la politique qualité en direction des besoins les plus importants pour les clients. Les systèmes de bonus-malus liés à la qualité du service rendu, qui sont maintenant presque systématiques, débouchent aussi souvent sur des besoins d’enquête.
Les enquêtes liées à la qualité sont fréquemment réalisées en interne (c’est souvent plus économique !) mais surtout elles favorisent l’implication des personnels dans la démarche qualité. Cette politique d’internalisation des mesures est très forte à la SNCF, mais va se retrouver également au sein du réseau MISTRAL de Toulon.
Pour les instituts d’étude, les enquêtes qualité dans le transport sont un challenge et plus d’un s’y est brûlé les ailes car la conduite d’enquêtes qualité, ou de relevés de conformité, greffée sur l’exploitation courante d’un réseau de transport peut réserver bien des surprises…