La réalité virtuelle, nouvel outil pour les études

La réalité virtuelle, nouvel outil pour les études

Firmenich, créateur de parfums pour des fabricants de produits d’hygiène beauté ou de soin pour la maison et Strategir, institut d’études marketing, ont un objectif commun : optimiser la qualité des réponses des consommateurs lors de l’évaluation d’un parfum, pour obtenir des axes de retravail qui soient les plus opérationnels et efficaces possible. La réalité virtuelle est apparue comme un véritable levier pour immerger le répondant dans une expérience consommateur qui soit à la fois pertinente et réaliste, et ainsi évaluer les différents parfums dans un contexte connectant le consommateur à la catégorie. Au final, l’objectif était de développer une approche globale qui optimise la qualité des données. Les questions auxquelles nous souhaitions donc répondre au travers de cette approche R&D étaient la nature de l’impact d’une immersion virtuelle sur les répondants et sur les résultats. 

L’un des métiers de Firmenich est de développer, pour les fabricants de lessive, des parfums pour leurs produits qui, une fois packagés et lancés sur le marché, devront plaire aux consommateurs. Il est donc crucial pour Firmenich de sélectionner les parfums à plus fort potentiel. Cela signifie être pro-actif en termes de tests consommateurs pour screener les différents candidats, sélectionner ceux qui partiront en retravail et ceux qui seront présentés aux fabricants de lessive.

Le protocole standard de Firmenich consiste à faire tester aux consommateurs 6 parfums parmi 11, en blind (sans marque) dans une salle de test dont l’environnement est neutre. Mais Firmenich s’interroge depuis le développement de la réalité virtuelle du bien-fondé d’immerger les consommateurs dans un contexte les connectant à la catégorie de produits pour obtenir des réponses plus fiables.

En effet, en toile de fond à notre démarche, c’est la limite du déclaratif consommateurs, souvent remis en cause car pas assez prédictif de la réalité, qui nous a motivé. Notre objectif était de valider si le fait de connecter des consommateurs au moment de vérité pour découvrir différents parfums de lessive permettait de mieux sélectionner les candidats à potentiel.

Firmenich et Strategir ont ainsi décidé de développer une nouvelle approche de sniff tests permettant d’immerger les répondants dans un contexte approprié « lessive », le plus réaliste possible pour évaluer les différents parfums. Ceci a été possible grâce à la réalité virtuelle 360° et en modifiant le protocole standard de test développé par Firmenich. Le test a été conduit en Allemagne.

Le développement de l’environnement virtuel

La première étape a consisté à choisir l’environnement dans lequel les répondants devaient être immergés. Cela a nécessité d’identifier l’expérience consommateur la plus pertinente lorsque l’on découvre un parfum de lessive pour la première fois en Allemagne. Est-ce en magasin lorsque l’on effectue son achat ? Est-ce à la maison lorsque l’on verse la lessive dans la machine à laver ? Est-ce lorsque l’on étend le linge ? etc.

Après discussion avec les responsables Firmenich locaux et les retours d’expériences consommateurs allemands, il a été décidé que le « moment de vérité » ayant le plus de sens pour évaluer un nouveau parfum lessive était lorsque le consommateur sort son linge de la machine à laver pour l’étendre sur le séchoir. En Allemagne, très souvent, le cellier de la maison est le lieu où se passe ce genre d’opérations.

La deuxième étape a consisté à développer ce contexte de façon virtuelle et immersive. Il s’agissait de vérifier la capacité de Strategir à développer une solution technique permettant de mettre en place un environnement réaliste pour le consommateur. Ce développement a fait l’objet de recherches et de test itératifs entre septembre 2016 et février 2017. L’objectif recherché était un environnement qui soit le plus réaliste possible sans toutefois être trop proche de la réalité. En effet, les celliers sont souvent mal rangés et peu propres mais il aurait été sans doute anxiogène pour les répondants de se retrouver dans un environnement trop réel.

Pour ce test, nous avons décidé de travailler entièrement en digital en développant les différents objets du cellier : machine à laver, étendoir, escalier, linge, carrelage au sol, etc., et d’assembler ces objets dans un cellier lui aussi virtuel, puis d’intégrer l’image dans le casque Samsung Gear VR 360°. Au final, les consommateurs, en portant le casque, se retrouvaient dans un cellier en sous-sol devant une machine à laver ouverte avec du linge à l’intérieur et un étendoir sur lequel du linge était posé.

Le choix du casque pour le Samsung Gear VR s’explique pour sa très bonne portabilité : poids très léger, confort pour le répondant, autonomie (pas relié à un ordinateur portable), utilisation extrêmement simple : très peu de manipulations pour les enquêteurs pour préparer le matériel et le montrer aux répondants et qualité du visuel : bonne qualité du visuel lié au mode statique de la photo.

La mise en place de l’approche étude

Une fois l’environnement créé, Strategir et Firmenich ont dû ajuster le protocole standard de sniff tests utilisé par Firmenich pour l’adapter à une immersion virtuelle 360°.
Afin de valider le protocole étude avec immersion virtuelle, nous avons mis en place deux études quantitatives de sniff tests en parallèle : une avec le protocole standard et une avec l’immersion virtuelle. Nous avons donc comparé les résultats obtenus par chaque protocole, avec et sans immersion virtuelle, afin de valider l’utilisation de l’immersion virtuelle comme outil d’études apportant davantage de prédictibilité aux résultats.
Les deux protocoles se sont déroulés en salle. Nous avons adapté le protocole pour les répondants avec immersion virtuelle puisqu’ils ne pouvaient pas voir autre chose que l’image virtuelle :

- L’enquêteur lisait les listes de réponses (échelle d’accord, et items),
- Les répondants devaient répondre par oui ou par non à une liste d’items selon qu’ils estimaient que l’item était attribué ou non au parfum (au lieu de cocher sur le questionnaire),
- L’enquêteur demandait aux répondants de sentir régulièrement chaque produit.

Ce protocole a également été appliqué pour le protocole standard afin de s’assurer que la seule chose qui variait entre les deux était uniquement l’environnement (neutre ou immersion virtuelle).
Chaque répondant testait 6 parfums parmi 11. Chaque interview durait 30 minutes. Au total 220 interviews ont été réalisées sur chaque protocole, chaque senteur a été évaluée 120 fois, ce qui représente une base robuste d’analyse.

Moyens mis en œuvre

Cette démarche a nécessité une logistique et des moyens humains très importants.

Tout d’abord, il était essentiel d’effectuer une rotation des parfums testés pour éviter que les mêmes ne soient toujours testés en premier. Nous avons donc réalisé un plan d’expérience pour que chaque parfum soit testé un nombre égal de fois au global, mais également en premier, en deuxième, en troisième, etc. Cela visait à éviter tout effet d’ordre, et à avoir ainsi une approche irréprochable d’un point de vue méthodologique.

Enfin pour que le parfum soit cohérent par rapport à l’environnement montré, il fallait que l’on fasse sentir aux répondants le parfum sur un linge humide, préalablement lavé en machine. Des petites lingettes de couleur blanche ont donc été lavées juste avant les tests et présentées aux répondants dans des bacs blancs en plastique : 5 lingettes par bac lavées avec le même parfum. Au total, ce sont 6 600 lingettes qui ont été lavées et présentées pour les 220 interviews de chaque protocole. Pour cela, le lieu d’enquête était équipé de 8 machines à laver le linge.

Au sein de Strategir, c’est une équipe pluri-disciplinaire qui a pris en charge l’expérimentation. Les services Recherche & Développement, Terrain et Etudes ont été impliqués dans la mise en place du terrain, le choix des traitements statistiques et l’analyse des résultats. Au total, outre la R&D plusieurs autres équipes ont été associées au projet :

- l’équipe terrain allemande pour accompagner l’agence de terrain allemande sur le bon déroulé des enquêtes,
- l’équipe terrain international,
- l’équipe études France avec un chef de projets étude expérimenté en sniff test et expert de la catégorie lessive,
- 2 responsables traitement de données pour mener à bien les différentes analyses statistiques
- l’équipe images virtuelles, avec le Directeur du département Image & Technology qui a travaillé personnellement sur le développement technique de l’environnement virtuel.

Au sein de Firmenich, la Directrice Globale CI Laundry Detergents a piloté le projet et managé la relation avec les équipes Firmenich à Paris pour la mise en place et le traitement statistique, et avec les équipes allemandes pour le choix de l’environnement.
Cette étude quantitative s’est déroulée de fin février à début mars 2017.

Innovation

Le caractère innovant du projet repose sur l’usage de la réalité virtuelle 360° pour immerger les répondants dans un univers approprié et donc optimiser la qualité des réponses. La validation de la pertinence et de l’efficacité a été effectuée dans le cadre d’un sniff test dont l’objectif a consisté à screener différents parfums.

Le développement de l’immersion virtuelle à 360° relève d’un certain paradoxe. Elle s’appuie, en effet, sur des éléments virtuels qui n’existent donc pas mais qui, une fois assemblés et adaptés à la vision 360°, deviennent ultra-réalistes. Nous n’avons ainsi pas eu besoin d’aller en Allemagne effectuer des photos de celliers. Nous avons développé l’image virtuelle à partir de nos bureaux basés à Bordeaux en utilisant des objets 3D et la réalité virtuelle 360°. Ceci requiert bien sûr une réelle technicité des équipes Images & Technologie pour que le rendu soit le plus réaliste possible.

Au final, le résultat pour la personne qui est immergée dans l’environnement virtuel est d’être littéralement téléportée dans un cellier avec du linge humide qui est en train d’être étendu sur un séchoir. Cette immersion virtuelle a eu 3 effets positifs au niveau des répondants :

- Ils ont été téléportés de la salle d’enquête à un cellier et se sont retrouvés comme à la maison, en train d’étendre leur linge. La situation était totalement réaliste pour eux.
- Ils sont restés connectés à la catégorie de produits tout au long de l’interview, ce qui a eu comme avantage que les réponses étaient données dans le cadre d’un parfum lessive. Ceci représente un atout considérable par rapport au protocole standard car les répondants peuvent aimer un parfum dans l’absolu en oubliant qu’il s’agit de donner une réponse concernant un parfum pour une lessive.
- Etant en quelque sorte « visuellement enfermés » dans le casque, les répondants ne pouvaient pas être distraits par des perturbations extérieures. Ils étaient donc très concentrés sur leur tâche : sentir et évaluer chaque parfum pour une lessive.

Mentionnons deux autres considérations positives :

- le caractère confortable du casque qui a été jugé léger et facile à porter
- l’absence de malaise ressenti par un répondant pendant la durée de l’interview. Une pause était prévue après le 3ème produit pour relaxer les répondants mais certains ont préféré continuer le test sans s’arrêter.

La deuxième dimension innovante est d’avoir décidé de valider l’approche avec immersion virtuelle vs. un protocole standard de façon extrêmement fiable d’un point de vue méthodologique et statistique. Nous avons comparé les 2 protocoles toute chose égale par ailleurs en annulant toute différence possible : même date et lieu d’enquête, même profil de répondants, même protocole pour présenter les lingettes, mêmes questionnaires, etc. D’un point de vue statistique, les bases d’analyse ont été très robustes puisque nous avons obtenu 120 mesures par parfum et par protocole, soit 1320 mesures sur l’ensemble des 11 parfums pour chaque protocole.

Résultats observés

Les principaux points que l’étude a adressés sont les suivants :
L’effet « Waouh » du casque est-il perturbant et est-ce que cela affecte la pertinence de l’approche ?
L’immersion virtuelle à 360° suscite toujours un réel enthousiasme de la part des consommateurs, mais cette énergie est mise au service de l’étude. Un « étalonnage » en montrant une image 360° non liée à l’étude permet de familiariser les répondants à la vision 360°. En outre, les résultats ont clairement montré que les indicateurs clé d’évaluation de chaque parfum n’avaient pas été affectés par l’immersion virtuelle : pas de sur-notation des parfums avec le protocole virtuel.
Obtient-on la même évaluation entre les 2 protocoles ?
Les répondants avec VR sont davantage concentrés sur leur tâche et connectés à la catégorie lessive. Ils ont été plus sélectifs pour associer un parfum à un descripteur utilisant plus souvent des termes comme « fruité artificiel, léger, frais, etc. ». Les répondants en environnement neutre ont utilisé des termes plus génériques.
De la même façon, les répondants immergés dans un environnement lessive faisaient davantage la différence entre les parfums, leurs résultats étant beaucoup discriminants. A l’inverse, les répondants en environnement neutre attribuaient plus facilement chaque critère à chaque parfum en attribuant positivement tous les critères aux parfums les mieux notés et inversement.
Quels sont les limites de l’outil ?
Le développement de l’environnement virtuel doit absolument faire sens pour la catégorie de produits. Cela nécessite une bonne connaissance de l’expérience consommateurs pour modéliser le contexte le plus approprié.
L’outil nécessite également des compétences techniques pour le développement et la mise en place du test, même si la manipulation pour les interviewés et les enquêteurs est très aisée.

Usages étude & next steps

Au vu des résultats, nous considérons que l’immersion 360° en test de produit est un outil pertinent pour screener des parfums et qu’il est opportun de creuser d’autres applications possibles. En effet, elle peut non seulement immerger les répondants dans un contexte physique comme pour notre test lessive mais également dans un contexte plus émotionnel recréant l’atmosphère adéquate, comme par exemple consommer une boisson dans une ambiance conviviale.
La réalité virtuelle permet ainsi d’amener le contexte de consommation aux répondants et de les immerger dans le lieu et/ou l’atmosphère les plus adaptés. Elle permet d’obtenir des évaluations en lien avec le contexte de consommation, qui seront donc plus fiables.