Nous tenons à remercier Professeur Emanuelle Reynaud pour sa contribution
L'intelligence artificielle (IA) occupe une place centrale dans le paysage en rapide évolution des progrès technologiques. De l'éducation aux équipements de santé, l'IA améliore de plus en plus les processus, les produits et les services dans divers secteurs. Dans le domaine de la santé en particulier, l'IA joue un rôle crucial en fournissant aux équipements hospitaliers, aux établissements de soins, aux laboratoires et aux systèmes de surveillance, des solutions faciles, rapides et pratiques pour les soins aux patients. Par exemple, les algorithmes d'IA d'Aidoc aident les radiologues à identifier les résultats critiques dans les images médicales, améliorant ainsi la précision et l'efficacité du diagnostic. Une société française, Therapixel, a créé un système de détection du cancer du sein basé sur l'IA, qui a reçu l’approbation de la FDA pour sa commercialisation aux Etats-Unis, et le marquage CE pour sa commercialisation en Europe. Parmi ces avancées, l'émergence des services de chatbots de santé basés sur l'IA se distingue comme un moyen simple et efficace pour les clients d'obtenir des réponses immédiates à leurs préoccupations et à leurs questions en matière de santé.
Si les chatbots basés sur l'IA sont aujourd'hui sous les feux de la rampe, le premier d’entre eux est toutefois apparu en 1964 sous le nom d'Eliza, développé par Joseph Weizenbaum au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Depuis lors, le développement de la technologie des chatbots a régulièrement progressé. Cependant, l'année 2010 a marqué une révolution dans le domaine des chatbots basés sur l'IA, car les principaux géants de la technologie ont lancé des assistants intelligents pour les smartphones et les PC, dans le but d'améliorer l'expérience de l'utilisateur. Le plus connu est Siri, lancé par Apple sur l'iPhone en 2010, suivi par Google Now en 2012 et Alexa d’Amazon en 2014. Les chatbots dotés d'IA servent de plateformes en ligne virtuellement assistées où les clients peuvent obtenir des informations sur leurs préoccupations, par le biais de conversations en ligne.
L'utilisation initiale des chatbots d'IA s’est développée dans différents domaines, tels que la relation client, l'utilisation interne au sein d'une entreprise et le shopping conversationnel. Par exemple, Orange Bank, a lancé en novembre 2017 le conseiller virtuel Djingo comme principal moyen pour les clients de dialoguer avec la banque. Son principal avantage est sa disponibilité 24 heures sur 24. De même, chez Sanofi, depuis 2018, un chatbot gère les demandes de congés (modifications ou annulations).
Bien que la santé n'ait pas été la première à expérimenter les chatbots, depuis 2018, de nouvelles utilisations dans ce domaine apparaissent. De plus en plus, les utilisateurs se tournent vers des forums et des sites web sur la santé pour obtenir des réponses sur les maladies et les traitements. Ainsi, WeFight a créé en France un chatbot nommé "Vik" pour aider les patientes atteintes d'un cancer du sein, en leur donnant des conseils sur leur mode de vie et des informations sur leur maladie et leurs traitements. MedWhat , quant à lui, est un chatbot américain, qui aide à diagnostiquer des maladies mineures et qui identifie les cas où la consultation d’un médecin est nécessaire. Cette technologie se développe d’autant plus que la durée pour obtenir un rendez-vous avec un médecin augmente. Mais, il est important de rappeler que le diagnostic établi par un chatbot ne peut remplacer celui posé par un professionnel de santé.
Bien que la mise en œuvre des chatbots basés sur l'IA dans le secteur des soins de santé n’en soit encore qu’à ses débuts, les perspectives d'application sont importantes car ils offrent une multitude d'avantages, avec des interfaces conviviales, une accessibilité rapide, la capacité à atteindre des utilisateurs vivant dans des zones rurales ou mal desservies, et un bon rapport coût-efficacité dans l’offre d'une assistance immédiate.
Cela ne va pas sans poser des questions éthiques.
La sécurité des données et la protection de la vie privée sont des préoccupations majeures, car ces chatbots manipulent fréquemment des données médicales privées. Pour garantir la confidentialité, il est essentiel de mettre en place des méthodes de cryptage robustes et des mesures strictes de protection des données.
En outre, les biais des algorithmes d'IA doivent être pris en compte, car ils peuvent involontairement favoriser la discrimination ou les inégalités dans la prestation de soins de santé, en particulier lorsqu'il s'agit de groupes sous-représentés ou marginalisés. Les systèmes d'IA sont formés sur de vastes ensembles de données, qui peuvent, par inadvertance, refléter les préjugés sociétaux. Par exemple, les algorithmes biaisés peuvent avoir un impact disproportionné sur les populations marginalisées ou sous-représentées, entraînant des disparités dans le diagnostic, le traitement ou l'accès aux services de santé. Ainsi, même si l’obésité et le diabète touchent de manière disproportionnée les afro-américains , il ne faudrait pas que l’IA utilise la couleur de peau pour diagnostiquer ces maladies. La transparence dans les processus de prise de décision de l’intelligence artificielle devrait pouvoir amoindrir ce problème. C’est pourquoi, la transparence et la responsabilité sont des principes fondamentaux qui doivent guider le développement et le déploiement de ces chatbots.
En outre, il est essentiel de garantir la responsabilité des actions des chatbots basés sur l'IA afin d'atténuer les dommages potentiels pour les patients. Qui porte la responsabilité des diagnostics ou des recommandations de traitement erronés ? Des lignes directrices et des réglementations claires, régissant les rôles et les responsabilités des systèmes d'IA et de leurs développeurs, sont essentielles pour maintenir la sécurité et la confiance des patients.
Une autre considération éthique concerne l'érosion de l'empathie humaine et la dépersonnalisation des soins aux patients à l'ère de l'IA. Si les chatbots sont pratiques et efficaces, ils n'ont ni l’humanité ni la connexion émotionnelle inhérentes aux interactions traditionnelles en matière de soins de santé. Il devient donc essentiel de trouver un équilibre entre les avancées technologiques et la préservation de l'élément humain dans les soins de santé.
En conclusion, l'essor des chatbots basés sur l'IA dans le secteur de la santé annonce une nouvelle ère d'innovation et d'opportunités. Toutefois, outre la promesse d'une amélioration des soins aux patients et de l'efficacité, des considérations éthiques se profilent. La vie privée des patients, l'équité, la transparence, la responsabilité et la préservation de l’empathie dans les soins sont des préoccupations primordiales qui doivent être prises en compte pour exploiter tout le potentiel de l'intelligence artificielle.
