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Vers l’IA, et au-delà !            

Vers l’IA, et au-delà !

Une innovation prometteuse

Rappelons tout d’abord qu’Amazon Go est en phase de beta-test actuellement, auprès de ses employés, que l’on a donc peu d’information concernant le retour des clients et la technologie précise employée. Amazon mentionne, comme technologies de suivi, la reconnaissance visuelle, supportée par du Deep Learning. Les produits devront être « taggés » avec une technologie type RFID (Radio-frequency identification). Il est probable que des caméras contrôlent également si les produits sont retirés du linéaire, remis en place… Mais il faudra sans doute une période de test longue et cahoteuse pour pouvoir associer, avec 100% d’assurance, la prise d’un produit d’un linéaire à un consommateur déterminé. Tout comme la voiture autonome, ce qui peut marcher en conditions de test deviendra beaucoup plus compliqué en situation réelle, lorsque des centaines de consommateurs serrés comme des sardines dans le magasin feront leurs achats. Et si l’entreprise est concluante d’un point de vue technique, ce sera au prix d’un espionnage total des faits et gestes du client. S’ouvriront de nouveau de furieux débats sur le respect de la vie privée. C’est un peu comme si Amazon ouvrait votre caméra d’ordinateur à chaque session sur son site et conservait la séquence.
Concernant l’utilisation des données clients, Amazon va pouvoir reconstituer la ‘vue complète’ du client qui lui manque, en ajoutant progressivement la consommation ‘physique’ chez Amazon Go avec la consommation ‘on-line’ de ses marketplaces. À terme, Amazon va pouvoir capter 100% du ‘signal’ de consommation qu’envoie le client.

Qui annonce l’Homo Data

La nouveauté de ces derniers mois, c’est bien l’homme non seulement consommateur de données, mais aussi et surtout producteur d’un flux continuel d’information qu’il est aujourd’hui possible de décoder, à grande échelle, et vite. Et cela s’est démultiplié avec l’Internet des objets, bien entendu, mais c’est né bien avant.
Rappelons le cas de reCAPTCHA. Cette solution technique qui est à la fois un moyen de détecter la fraude sur Internet mais aussi, depuis son rachat par Google en 2009, un outil pour alimenter, via l’œil humain, le ‘machine learning‘ qui permet numérisation à grande échelle des livres pour Google Library. L’homme tape un mot que l’ordinateur ne sait pas reconnaître car il est disposé de manière floue et oblique (à l’approche de la rainure) et aide la machine à apprendre. AlphaGo est devenue la première machine à battre un humain en étudiant (entre autres) et ré-invoquant, en temps réel, des millions de parties gagnantes faites par des humains.
L’homo data, c’est l’homme producteur d’un flux incessant de données collectées, traitées, utilisées en temps réel. Et c’est l’essence d’Amazon Go. Amazon dit qu’il peut maintenant placer ses entrepôts dans la rue et laisser les consommateurs se servir. Il est d’ailleurs ironique de constater que les techniques annoncées pour permettre la transaction chez Amazon Go (« computer vision », « sensor fusion », « deep learning algorithms ») pourraient bien être les mêmes que celles utilisées pour exiger la performance optimale des employés dans leurs entrepôt – voire les mettre sous pression si constat de vol.

Un nouveau data marketing

Il faut replacer ce lancement dans le contexte global du développement d’Amazon et de la bataille féroce que se livrent retailers et marques autour de la connaissance du client. Le distributeur américain maîtrise toute la chaîne logistique et le point de vente physique ne représente plus que le dernier maillon à conquérir. C’est le ‘last mile marketing‘ qu’Amazon essaie d’emporter dans un secteur, le frais, où la commande on-line reste encore peu naturelle. Et n’oublions pas le rôle du toucher dans l’acte d’achat : selon une étude récente, toucher un produit rend le consommateur 40 à 60% plus à même d’acheter (Journal of Consumer Research, University of Chicago Press).
A la clé, de nouvelles cibles et de nouveaux comportements d’achats, donc de nouvelles données clients, qu’Amazon saura exploiter pour adresser le client dans tout son éventail de consommation. Car les géants de l’alimentaire américain sont eux aussi, tout comme ceux des biens de consommation courante, engagé dans cette lutte pour recueillir et disséquer les comportements de leurs clients. Procter, Kraft, Unilever, tous rêvent de poser cette petite caméra juste derrière chaque linéaire (voir les expériences récentes de magasins virtuels, de shopping via réalité augmentée), mais Amazon vient d’avancer le premier pion.