Dernier numéro de Survey Magazine

Du sens et de l’humain pour le marketing d’influence

Influenceur

Ruée vers l’or, Far West, le marché de l’influence s’est professionnalisé, s’est starifié et connaît ses premiers déboires. Au regard de l’apparition des « fake influenceurs », nous pouvons nous questionner sur une possible crise du marketing d’influence, sur ses limites et son avenir. A quoi ressemblera l’influenceur de demain ?

Marchandisation de l’influence et perte de sens

La gestion de l’e-réputation est la pierre angulaire de la stratégie digitale de communication marketing des organisations. Elle se déploie via les axes de confiance, de crédibilité, de qualité de présence digitale, d’engagement, de visibilité. En optant pour le levier de l’influence, le risque pour les marques réside dans le choix de l’influenceur et dans la façon dont il est intégré à la stratégie de contenu. Certaines pratiques peuvent entacher leur e-réputation. Selon InfluencerMarketingHub (2019), une hausse de 1 500 % concernant les requêtes pour “marketing d’influence” a été constatée ces trois dernières années. Les marques se sont tournées vers les macro-influenceurs, ceux qui jouissent d’un nombre très important de « followers » au sein de réseaux sociaux. Elles ont retenu le critère quantitatif et la notoriété acquise de l’influenceur. La vérification de ce critère n’a pas été réalisée et certaines marques ont appris que leur influenceur avait acheté des abonnés. Par ailleurs, l’engagement réel généré auprès des abonnés n’était pas maîtrisé. Un macro-influenceur fait-il encore vendre ? Arii, une influenceuse comptant plus de deux millions de followers sur Instagram n’est parvenue à vendre qu’une trentaine de t-shirts et a dû mettre fin à sa marque récemment (mai 2019). Tous les partenariats ont-ils un sens ? Les managers du marketing d’influence n’ont-ils pas fait fausse route en utilisant les influenceurs comme des bannières publicitaires avec une stratégie de « one shot » ou de court terme ?

Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à se méfier des recommandations des influenceurs sur les réseaux sociaux (selon une étude Bazaarvoice de juin 2018, seulement 22 % des sondés leur accordent leur confiance). Partenariats cachés, manque d’authenticité, recommandations sans expertise, complaisance, faux comptes, faux influenceurs, achat de followers, fiasco (Fyre Festival)… Les internautes ont été nombreux à se sentir trahis et considèrent que les influenceurs ne sont pas sincères. Facebook, Twitter, Instagram sont acculés et décident de faire du ménage au sein de leur réseau en 2018. Les marques deviennent plus regardantes envers les pratiques de leurs influenceurs et plus rigoureuses quant aux règles à respecter au sein de leur partenariat. Les marques ont compris qu’elles sont également tenues pour responsables (mauvais choix, méconnaissance du profil de l’influenceur, double jeu…). Les annonceurs doivent s’extraire de cette situation : ils affichent ne plus vouloir collaborer avec ceux qui « trichent » et ils exigent l’exemplarité ; tel est le cas de Lipton, Dove ou encore Unilever (second annonceur mondial). Certains influenceurs réagissent, dénoncent les mauvaises pratiques (Guillaume Ruchon) et s’efforcent de montrer patte blanche. Certains disent crouler sous les demandes des annonceurs et faire un choix en fonction de la façon dont on les aborde, du lien avec leurs thématiques ainsi que de la valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter.

Quand les « petits » prennent le pouvoir

Les partenariats avec les macro-influenceurs coûtent cher, leur image est écornée, le retour sur investissement n’est pas toujours à la hauteur des espérances et l’activité publicitaire traditionnelle ralentit. Les marques jettent alors leur dévolu sur les micro-influenceurs et ont recours aux services des agences d’influence. Il n’y a pas encore de consensus dans les mondes professionnel et académique quant au seuil au-dessus duquel on cesse d’appartenir à la catégorie des micro-influenceurs. Néanmoins, il semble que l’engagement généré commence à décroître au-delà de 30 – 35 000 abonnés. L’enjeu pour les marques est de capter l’attention des consommateurs : une personne pouvant être exposée jusqu’à 3000 messages par jour (étude BCG), on atteint une saturation chez le consommateur. Ensuite, l’enjeu est de persuader les consommateurs. Pour les micro-influenceurs, la portée de leurs recommandations est limitée mais leur impact s’avère plus grand en termes de crédibilité, d’engagement, de sincérité et d’authenticité. Ils jouissent d’une audience davantage active et engagée. Pour les micro-influenceurs ayant jusqu’à 10 000 abonnés, l’engagement est de 6 % sur Instagram et de 7 % sur YouTube, contre 3.4 % et 4.5 % pour les macro-influenceurs (Influence4Brands). Les agences recrutent des micro-influenceurs de plus en plus jeunes ; ce qui peut soulever plusieurs questionnements. Par ailleurs, lorsqu’ils bénéficient d’une mise à disposition d’un directeur artistique pour gérer leur image, d’un coach, d’outils et que la majorité de leurs posts repose sur des partenariats financiers, ne deviennent-ils pas des professionnels, mannequins, acteurs, égéries ? Professionnalisation peut-elle rimer avec authenticité et indépendance ? Peut-on garder un esprit critique lorsqu’il s’agit d’une manne financière ? Faut-il un meilleur équilibre entre les contenus sponsorisés et rémunérés par les marques et les autres publications de l’influenceur ? Les marques, les agences de mise en relation qui ont vu le jour et les micro-influenceurs doivent établir une stratégie éclairée afin de ne pas reproduire les erreurs des campagnes sponsorisées de ces dernières années. Les influenceurs et leurs contenus se ressemblent : l’internaute est noyé dans un flux d’influence où il scrolle sans réellement consommer et il se lasse. Les agences d’influence peuvent notamment permettre de gagner du temps pour dénicher les talents mais il incombe aux annonceurs de vérifier leur pertinence et leur degré d’affinité avec la marque. Il faut miser sur les compétences des micro-influenceurs en termes d’expertise, de qualité du contenu et de créativité afin de se démarquer et de matcher avec l’audience sur le long terme. L’influenceur est à intégrer dès la création de la stratégie de contenu et de branding. Il ne doit pas être qu’un outil, un diffuseur ou un exécutant. Pour un contenu différent, il faut ressentir la personnalité de l’influenceur et que celui-ci ait un véritable univers ; son implication augmentera l’effet de recommandation. Le marketing d’influence doit s’imprégner de quatre dimensions : « pathos » (émotionnel), « ethos » (crédibilité), « logos » (raisonnement) et « kairos » (contexte). Une évolution est nécessaire : du macro au micro-influenceur, du secret à la transparence des collaborations, du placement de produit à la recommandation authentique, des contenus répétitifs aux propositions de valeur.

De nouveaux influenceurs émergent

Dans l’ère de l’influence digitale, les 15-30 ans ne sont pas les seuls à générer un engouement chez les internautes de tout âge. La silver économie est un marché en forte croissance au sein duquel la place des seniors est questionnée et revalorisée. Ces influenceurs seniors, femmes et hommes, traitent de différentes thématiques telles que le voyage (Seniors en Vadrouille), la famille (Studio Danielle), la beauté et le bien-être (Senior mais pas trop), la mode (Dorrie Jacobson, Pimprenelle, Lance), le lifestyle (Nicole Tonnelle, Les Nanas Seniors)… Baddie Winkle compte 3.8 millions d’abonnés sur Instagram. Comme l’écrit Serge Guérin dans Les Quincados, les seniors sont des « lanceurs de tendances ». Les marques, plutôt habituées à mettre en scène l’adolescence et la jeunesse, amorcent un grand virage dans leur communication et misent également sur les seniors. Les marques s’adaptent à l’évolution sociétale, se veulent plus émotionnelles, plus proches des consommateurs, plus engagées, notamment dans les cosmétiques (diversité, bien vieillir, body positivisme, acceptation des signes du vieillissement, confiance en soi…). Ainsi, Helen Mirren (73 ans), Jane Fonda (81 ans), Isabelle Adjani (63 ans) deviennent égéries pour L’Oréal Paris, Isabella Rossellini (66 ans) pour Lancôme, Daphne Selfe (89 ans) pour Eyeko. Dernièrement, Magnum a lancé sa campagne avec Iris Apfel (97 ans). Le nouveau credo est de faire rêver en conservant sa nature. On parle de « senioressence » et de « pleniors » (contraction de plénitude et seniors). Ces silver influenceurs sont connectés et bousculent les codes, qu’ils soient nano, micro ou macro-influenceurs. Certaines marques s’affranchissent des célébrités et mettent en avant des seniors anonymes, dans une démarche de conscientisation et de recherche de sens (société inclusive, communication intergénérationnelle, transmission, bienveillance…). Tel est le cas de la série « Un Siècle vous contemple » (création originale Garéal) qui met en lumière des hommes et des femmes de plus de 90 ans (Mme de Boussac, 106 ans, Tonton Benoît, 90 ans, Odette, 93 ans…). Ils nous racontent leur histoire, partagent leur expérience et réagissent à l’actualité avec émotion, franc-parler et humour. Avec plus d’un million de vues, ces seniors ont la côte auprès d’une large audience dont les jeunes.

Légende : Série « Un Siècle vous contemple », épisode 2 Saison 3

Pour générer l’engagement, les marques doivent être engagées, défendre des valeurs et être des « meaningful brands ». La gestion de l’influence passe par la « brand utility ».

Cette utilité commence au sein même de l’entreprise, par l’écoute et la reconnaissance accordées aux collaborateurs internes. Il convient de s’assurer que les valeurs prônées sont respectées dans l’organisation. Celle-ci doit parvenir à engager son premier cercle, celui des parties prenantes internes, pour ensuite valoriser cet engagement en ligne via une communauté humaine connectée. Les collaborateurs sont les premiers e-influenceurs de l’entreprise et de la marque ; ils sont des vecteurs réputationnels. Il s’agit le plus souvent de nano et de micro-influenceurs. Pourtant, les entreprises sont en retard. Elles ont du mal à être agiles en ce qui concerne l’intégration de la parole des collaborateurs au sein de leur stratégie réputationnelle et communicationnelle dans l’univers numérique. Tout comme elles ont mis du temps à intégrer les avis des consommateurs à leur stratégie commerciale en ligne et à déployer une véritable politique de community management. La voix digitale des employés via les réseaux sociaux professionnels permet d’augmenter la visibilité de l’entreprise et d’agir sur sa e-réputation corporate (processus de co-construction). Leur discours est jugé davantage crédible que celui émis par l’organisation et leurs posts génèrent davantage d’engagement. En 2014, Total et IBM ont commencé à s’intéresser à l’impact de ces influenceurs sur la marque-employeur et la performance de l’entreprise. Puis le secteur banque et assurance a invité les collaborateurs à prendre la parole sur les réseaux sociaux tels que LinkedIn et Twitter (Crédit Agricole SA en 2016, BPCE et Allianz en 2017, Axa en 2018). Amazon et Alibaba ont développé une politique d’affiliation au sein de programmes d’ambassadeurs et offrent une rémunération. Les labels et les classements d’attractivité se multiplient (LinkedIn Top Companies, Glassdoor…). Attention, les employés ambassadeurs pourraient connaître le sort de certains macro-influenceurs. Il faut savoir trouver l’équilibre entre l’attitude corporate et le sponsoring, l’encadrement de l’expression et la confiance. Même si les programmes d’employee advocacy reposent (pour l’instant) sur le volontariat, la parole ne doit pas être formatée. L’entreprise doit elle-même faire confiance à ses employés et encourager les employés libres-parleurs. La clé du succès se trouve dans l’implémentation du Marketing des Ressources Humaines (MRH) qui rend performant un des axes du marketing d’influence : attirer les talents, fédérer, fidéliser les collaborateurs. Ce postulat gagnant-gagnant ou donnant-donnant n’est pas uniquement bénéfique à la relation entre l’entreprise et ses collaborateurs actuels et potentiels. Cette relation d’engagement a un impact positif sur la perception des parties prenantes externes. La réputation de l’entreprise est façonnée par les valeurs qu’elle incarne en cohérence avec sa ligne de conduite : les conditions de travail, la considération du collaborateur, le positionnement « human centric », sont des facteurs pris en compte par les consommateurs dans leur processus d’achat, allant de pair avec les préoccupations de développement durable.

Alors que l’humanisation de l’organisation et le storytelling publié par les collaborateurs émergent et trouvent un écho favorable, certaines marques misent sur l’intelligence artificielle et les influenceurs virtuels. La Maison Prada a réalisé un partenariat avec la gynoïde modeuse, Lil Miquela (1,6 millions d’abonnés sur Instagram). Perl, qui a lancé une ligne de cosmétiques pour humanoïdes, apparaît aux côtés d’Orelsan. Le photographe Cameron-James Wilson a créé le top model Shudu Gram. Renault a lancé sa campagne de promotion du nouveau SUV Kadjar avec Liv. Ces « vrais faux » influenceurs pixélisés sont controversés par certains, admirés par d’autres (qui ont cru quelques temps qu’ils étaient réels). Les influenceurs virtuels vont-ils remplacer les influenceurs humains ? Leur utilisation permet de garder un contrôle total sur le message et l’image ainsi que de se prémunir contre les bad buzz, en particulier lorsque les marques conçoivent leur propre influenceur virtuel, comme Kenzo avec Knola.

Alors, où placerez-vous votre confiance : humanoïdes, influenceurs-stars sous contrôle ou humains libres-parleurs ?