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Quelle valeur accorder au déclaratif ?

Quelle valeur accorder au déclaratif ?

Jean-Marc Lech, co-PDG d’IPSOS déclarait récemment aux Echos « Je ne crois plus aux analyses fondées sur le déclaratif ; seuls les éléments comportementaux peuvent permettre d’imaginer des stratégies différenciées. Pour tenter de prédire, il vaut mieux savoir ce que les clients font réellement. »

Cette défiance est d’autant plus surprenante qu’elle provient du dirigeant du 3ème groupe mondial du secteur des études. Est-elle vraiment justifiée ? De quelles alternatives dispose-t-on pour définir des stratégies gagnantes ?

Les limites du déclaratif

On imagine tous facilement que les enquêtes portant sur des sujets sensibles comme la santé, la sexualité, les drogues, la consommation d’alcool ou la politique puissent comporter des biais importants dans les réponses. Les personnes interrogées, mues par la pudeur, la crainte, une volonté de paraître ou encore par une démarche calculée, peuvent être amenées à donner des réponses erronées.

Pour corriger les déclarations recueillies, les sondeurs ont généralement recours à des méthodes de redressement établies à partir de situations connues. Ainsi, dans le cadre des sondages pré-électoraux, on sait que les intentions de vote pour l’extrême droite sont systématiquement sous-évaluées. La solution utilisée est de demander aux sondés d’indiquer leur vote précédent puis de déterminer un coefficient de redressement calculé à partir des résultats réels de cette élection précédente. Pour simplifier, si 8% des personnes interrogées indiquent avoir voté Le Pen la fois précédente alors que celui-ci a obtenu 16% des voix, le coefficient de redressement applicable aux intentions de vote pour l’élection à venir est de 2. Ces calculs ne permettent pas toujours d’anticiper correctement les résultats, d’autant plus que les sondeurs sont souvent tentés d’apporter une touche personnelle supplémentaire lorsque les résultats ainsi obtenus ne sont pas ceux qu’ils supposaient (comme lors du premier tour en 2002 mais aussi au vu du score surévalué attribué à Le Pen par l’institut CSA lors de la dernière présidentielle).

Qu’en est-il des enquêtes consommateurs ?

Les professionnels des études savent que les réponses qu’ils obtiennent, même sur des sujets peu sensibles, peuvent comporter des erreurs volontaires ou involontaires de la part des répondants. Pour y pallier, beaucoup de questionnaires intègrent des questions de contrôle avec des reformulations de questions déjà posées ou des réponses pièges (produit ou marques inexistantes…).

Plusieurs éléments participent toutefois aujourd’hui à une augmentation de l’incertitude quant à l’exactitude des réponses obtenues.

Le premier d’entre eux est la conséquence de l’évolution du consommateur décrite dans ce dossier. L’hyper-consommateur est davantage mû par ses envies, ses pulsions et ses arbitrages incessants que par un cadre intrinsèque de consommation pensé à l’avance et régi une fois pour toutes par le statut social, familial ou professionnel. Facilement infidèle à ses fournisseurs, il peut aussi l’être à ses opinions. Des réponses qui correspondent à des aspirations sincères au moment de l’interview peuvent être contredites ensuite dans la réalité. Comme l’indique Matthieu Lambeaux, DG de Findus, « Le consommateur vous dira toujours qu’il est intéressé par l’innovation. C’est comme si vous lui demandiez s’il a envie de partir en vacances. Il va vous répondre par l’affirmative et qu’il souhaite partir loin. Dans la réalité, il se contente de choses plus simples ».

L’autre élément qui nuit à la qualité du déclaratif réside certainement dans une lassitude face aux enquêtes. Incontestablement trop nombreuses et souvent trop longues, elles finissent par agacer les personnes interrogées. En France, il est de plus en plus fréquent de se heurter à des refus de réponse aux enquêtes téléphoniques. Les gens qui acceptent de répondre le font parfois avec mauvaise grâce ou s’impatientent au vu du nombre de questions posées. Aux Etats-Unis, le phénomène a atteint une telle proportion que certains instituts se sont sentis obligés de lancer des campagnes publicitaires pour convaincre de l’importance de répondre aux enquêtes. D’après Ely Dahan, professeur de marketing à l’Université de Californie (UCLA), « Lorsque vous demandez à un client ce qu’il veut, puis vous le lui redemandez encore et encore, vous finissez par obtenir des réponses inconsistantes. On ne sait plus où est la vérité. »

L’observation in situ comme alternative ?

Pour compléter ou remplacer les méthodes déclaratives, beaucoup de professionnels mettent en avant des approches basées sur l’observation, comme moyen d’objectivation dans la connaissance du consommateur.

Si les démarches qualitatives de mise en situation de consommateurs pour relever leurs attitudes et leurs comportements sont pratiquées depuis de nombreuses années, deux expériences initiées par Findus en 2003 puis en 2005 ont eu un retentissement particulier, encourageant grandement ce type d’approches.

Il s’agit, pour la première, du Loft Findus, un appartement aménagé avec une cuisine, un salon et un coin enfants. Pendant 4 mois, 200 familles ont été filmées par sessions de 2h30 faisant leurs courses (dans une partie rayonnage installée à cet effet), cuisinant et déjeunant ou dînant sur place. Findus a notamment découvert que le consommateur qui affirmait pourtant utiliser très peu le four à micro-ondes, avait pour premier réflexe de regarder si le plat surgelé qu’il avait choisi était « micro-ondable ». La société a donc lancé une gamme de plat prévus pour être cuisinés au micro-ondes et qui ont rencontré beaucoup de succès. Cette démarche a été rapidement imitée par la concurrence.

En 2005, Findus a entrepris une autre expérience intitulée « Caméra Conso ». Des caméras ont été installées dans 9 foyers pour filmer les consommateurs aux heures des repas pendant 7 jours.

Depuis, plusieurs entreprises alimentaires ont fait appel à la marque pour mettre en place des expériences similaires en commun (Sodexho, Banania…), dans l’objectif de mieux repérer et analyser les « vrais » gestes des consommateurs.

D’autres sociétés, dans d’autres pays, ont eu la même idée que Findus. Ainsi, LG Electronics a mené en Allemagne des expériences similaires en filmant des consommateurs chez eux, afin de s’immerger concrètement dans leur univers et identifier précisément leurs habitudes et l’usage qu’ils font des appareils électro-ménagers. Pour Ji-SeunYou, responsable du projet chez LG, la plupart des personnes n’enregistrent pas leurs actions quotidiennes et sont incapables de vous les décrire concrètement et dans le détail. « Combien d’entre vous peuvent indiquer ce qu’ils font exactement lorsqu’ils nettoient la maison, s’occupent du linge ou s’activent en cuisine ? » demande-t-elle. Pour LG, ces études ont fourni beaucoup de renseignements utiles. La caméra a filmé des comportements que les personnes n’ont pas indiqué ou ont refusé d’admettre lors des entretiens en profondeur qui ont suivi. Ainsi, plusieurs personnes oubliaient régulièrement de fermer la porte de leur réfrigérateur et ne l’admettaient pas. Elles ont été très surprises en visionnant les vidéos. LG a également constaté que la plupart des consommateurs rinçaient leurs assiettes avant de les mettre au lave-vaisselle, alors que ce n’est plus tellement nécessaire.

Que penser de ces approches ?

Suite aux expériences de Findus et surtout à la mise en cause des démarches plus classiques qui les ont accompagnées, des professionnels des études sont montés au créneau pour faire part d’un scepticisme poli, en pointant les insuffisances d’approches basées sur un petit nombre d’observations et portant sur un échantillon non représentatif.

Ainsi, le groupe Unilever a mené une étude classique sur le même thème de l’alimentation avec l’institut Stratégir, en demandant à 1000 foyers représentatifs de remplir quotidiennement un carnet de consommation. D’après Isabelle Goisbault, de Stratégir, cette méthode a été choisie pour optimiser le déclaratif en évitant les oublis. Les résultats de cette étude se sont révélés différents et parfois en contradiction avec plusieurs conclusions avancées par Findus.

En allant plus loin dans la critique, on peut dire que les investigations basées sur l’observation in situ d’un faible nombre de consommateurs s’apparentent davantage à une approche exploratoire qu’à de véritables études à portée générale. On ne doit pas trop exagérer en affirmant que, dans le cas de Findus qui a fait couler beaucoup d’encre, le bénéfice principal pour l’entreprise s’est certainement situé davantage dans le caractère événementiel et les retombées médiatiques de l’opération que dans les enseignements effectifs de l’étude.

On peut d’ailleurs se demander si la volonté de s’immerger dans l’univers réel du consommateur n’est pas plutôt la marque d’une déconnexion de certains professionnels du marketing par rapport à ce même consommateur. Ne serait-ce pas tout simplement parce qu’ils l’ont réduit au travers des études, des analyses et des brain-storming à une entité virtuelle et statistique qu’ils finissent par ressentir à un moment donné le désir de le toucher du doigt et de constater qu’il existe en chair et en os. Comment expliquer autrement la fascination qu’exerce la télé-réalité du consommateur évoluant dans son univers quotidien et livrant via les caméras des secrets qu’il ne voudra ou ne pourra jamais communiquer autrement ?

Une chose en tout cas est sûre : aucune théorie scientifique solide ne permet de tirer des conclusions à partir de l’observation d’un petit nombre de cas. Les approches quantitatives basées sur le déclaratif doivent être optimisées pour s’assurer d’une bonne qualité des réponses collectées. Elles pourront être complétées en amont ou en aval par des méthodes qualitatives de type ethnologique pour préparer ou valider les observations. Mais ces techniques qualitatives ne pourront jamais les remplacer dans la fourniture d’une information fiable, et généralisable, en mesure d’orienter les stratégies gagnantes.