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Parcours client omnicanal : Quand (ne pas) automatiser les points de contact pour maintenir la connexion émtionnelle avec le client ?

Connexion émotionnelle client

L’engagement est une part essentielle de l’expérience client. Il représente l’ensemble des points de contact sur le parcours client et se traduit par des réponses cognitives, émotionnelles et comportementales aux conséquences directes (ex., achat) et indirectes (ex., bouche à oreille) pour l’entreprise. Or ces points de contact évoluent rapidement : l’omnicanal intègre désormais des interfaces automatisées telles que les chatbots, les systèmes de caisse automatique ou les bornes de service intelligentes. Et certains spécialistes considèrent que ces points de contact automatisés pourraient remplacer les interactions dyadiques traditionnelles dans un futur proche. Cependant, l’automatisation des points de contact sur le parcours client demeure une stratégie périlleuse.

Récemment, de grandes enseignes de distribution nord-américaines comme Walmart ou Canadian Tire ont retiré leurs systèmes de caisse automatique dans plusieurs magasins suite aux plaintes répétées de leurs clients. Au Japon, les dirigeants de l’hôtel Henn-Na entièrement robotisé ont finalement supprimé la moitié de leurs robots et ont réintégré des employés humains pour répondre aux besoins des clients. Enfin, selon une étude publiée par eMarketer (Garcia, 2018), une majorité de clients ayant interagi avec des chatbots lors de leur parcours d’achat estiment que les chatbots empêchent tout contact avec un agent humain, sont peu utiles et n’offrent pas la personnalisation attendue dans une relation de service.

Pour l’entreprise, les difficultés liées à l’automatisation des points de contact sont essentiellement dues à des facteurs techniques et économiques : les systèmes automatisés tomberaient souvent en panne et coûteraient plus cher que prévu. Mais du côté client, la perception est autre : on regrette la perte de contact humain; on dénonce le transfert de la charge de travail sur les clients; on se plaint de la difficulté à prendre en main les systèmes automatisés.

Prenons le parti du client. L’automatisation des points de contact sur le parcours d’achat sans considération pour les attentes sociales du client est une source de frustration importante à l’origine de son désengagement et de l’évaluation négative de son expérience. La relation de service est une forme d’interaction sociale orientée vers la co-création de valeur—une expérience hautement émotionnelle toujours déterminée par le bénéficiaire—qui demande à l’entreprise de sortir d’une logique transactionnelle pour embrasser une approche relationnelle et ainsi délivrer une expérience qui a de la valeur. Réussir sa stratégie d’automatisation du parcours client demande donc aux entreprises de comprendre (1) les motivations profondes du client lorsqu’il interagit avec l’entreprise durant son parcours d’achat, et (2) l’importance d’aligner les points de contact de l’entreprise sur les motivations du client pour favoriser la connexion émotionnelle et l’engagement du client à chaque étape de son parcours d’achat.

L’émotion du client détermine son choix d’interagir avec des points de contact particulier

Lorsque le client interagit avec l’entreprise pendant son parcours d’achat, son objectif est clair : obtenir une réponse immédiate à ses questions tout en réduisant le nombre d’interaction à son strict minimum et en conservant autant que possible son autonomie—le self-service est privilégié lorsque le client a le choix. Ce qui est moins clair en revanche, c’est pourquoi le client porte son choix sur un point de contact particulier pour obtenir la réponse à sa question. Il convient donc revenir à la source de l’état d’incertitude du client qui stimule son besoin de réponses : l’émotion.

Le client est quotidiennement engagé dans des activités visant à atteindre ses objectifs et une émotion—qu’elle soit positive ou négative—émerge dans deux types de situation : lorsque quelque chose qui n’était pas prévu se produit; lorsque quelque chose de prévu ne s’est pas produit. L’écart perçu entre prévisions et résultats suscite un déséquilibre affectif et cognitif qui nécessite d’établir des contacts sociaux et de partager son expérience émotionnelle pour obtenir des réponses (objectif) et rétablir ainsi son équilibre affectif et cognitif (motivation).

Dans le cadre de la consommation, l’entreprise est le partenaire social privilégié par le client pour partager ses émotions, obtenir les réponses attendues et rétablir son équilibre affectif et cognitif. Mais le point de contact sélectionné par le client varie selon la valence—positive, négative—de son expérience émotionnelle et doit garantir au client d’obtenir ses réponses en un nombre réduit d’interaction et en favorisant son autonomie.

Émotion positive et point de contact privilégié par le client

Une émotion positive émerge lorsque la poursuite d’un objectif est substantiellement accélérée et qu’il est atteint plus facilement que prévu. Elle suscite un déséquilibre socio-affectif (i.e., l’état de satisfaction est supérieur à ce qui était anticipé) qui motive le partage social de l’émotion avec l’entreprise afin d’obtenir une rétroaction positive et ainsi de conforter le client dans son nouveau schéma mental (i.e., valider auprès d’autrui les causes de l’expérience positive vécue). De plus, les émotions positives sont des occasions uniques sur lesquelles capitaliser pour augmenter le plaisir ressenti grâce au partage de ses expériences. La partage des événements positifs relevant de la vie privée des internautes sur les réseaux sociaux en est une parfaite illustration.

Communiquer ses expériences émotionnelles positives à autrui est associé à une amélioration de l’état affectif qui va au-delà des bénéfices associés à l’événement lui-même. Un employé humain qui s’appuie sur son intelligence émotionnelle pour répondre avec enthousiasme au client au point de contact favorise des interactions sociales privilégiées et personnalisées et suscite un plaisir significatif pour le client. Par exemple, une cliente qui interagit avec une entreprise pour choisir sa robe de mariage s’attend à trouver un conseiller qui partage son bonheur et son enthousiasme pendant la production du service. Poster la photo de la robe sur les réseaux sociaux permet de partager ses émotions et d’obtenir des rétroactions de la part de ses pairs pour faire durer le plaisir associé à l’événement. Ainsi, partager ses émotions positives n’augmente pas seulement le plaisir ressenti par le client à travers la valorisation, la reconnaissance sociale et le bénéfice temporaire d’avoir comblé ses besoins d’ordre socio-affectifs; cela améliore aussi les liens sociaux et installe une intimité entre le client et l’entreprise propice à l’engagement à long terme.

Émotion négative et point de contact privilégié par le client

Une émotion négative émerge quand les circonstances interfèrent dans l’atteinte de nos objectifs : nos attentes sont contrariées et nos activités en cours sont bloquées. Une expérience émotionnelle négative suscite chez le client un déséquilibre socio-affectif et cognitif qui le motive à partager ses émotions avec autrui pour obtenir une réponse empathique.

Le partage social des émotions au point de contact avec l’entreprise est analogue au processus d’attachement émotionnel décrit dans la relation parent-enfant : le client signale son inconfort et ses besoins en émettant des signaux émotionnels, et l’entreprise est censée y répondre en rassurant le client et en se montrant disponible et accessible. Lorsque l’attachement est établi entre le client et l’entreprise, le client se rapprochera systématiquement de l’entreprise dans chaque situation émotionnelle.

Par conséquent, le partage social des émotions négatives du client sert deux objectifs distincts mais interdépendants : la réduction immédiate de son état d’anxiété (i.e., rééquilibre socio-affectif) et l’augmentation de sa clarté cognitive (i.e., rééquilibre cognitif).

Expérience émotionnellement neutre et point de contact privilégié par le client

Si une activité se déroule telle que prévue, l’expérience est neutre sur le plan émotionnel et suscite uniquement de la satisfaction. Une expérience est émotionnellement neutre lorsque les objectifs sont atteints comme prévu; les circonstances ne facilitent pas ou ne compliquent pas l’atteinte des objectifs.

Une expérience émotionnellement neutre ne suscite pas de déséquilibre socio-affectif ou cognitif chez le client et ne stimule donc pas le processus de partage social de l’expérience. Les expériences neutres maintiennent le client dans un comportement routinier où les interactions sociales sont réduites à leur plus simple aspect: une relation utilitaire et efficace qui garantit un minimum de politesse, de confiance et de respect. Le point de contact doit être pratique, rapide et stable : une interface automatisée est à privilégier pour permettre au client d’obtenir une réponse simple et rapide tout en lui permettant d’être autonome (ex. pas de contraintes d'horaires ou de droits d’accès). Dans cette situation, toute forme d’interaction sociale humaine apparaît comme une contrainte inutile et coûteuse qui réduit l’efficacité de l’interaction de service et génère de l’insatisfaction de la part du client.

Si le client a besoin d’informations complémentaires et/ou personnalisées pour atteindre ses objectifs dans le cadre de ses activités courantes, l’interaction avec un chatbot est à privilégier. Le chatbot permet de réduire les contraintes d’une interaction sociale à son strict minimum tout en fournissant au client les informations simples dont il a besoin pour poursuivre son parcours d’achat en toute autonomie.

Importance d’aligner les points de contact sur les attentes sociales du client

Lorsque l’entreprise établit des points de contact alignés sur les motivations profondes du client (i.e., rétablir son équilibre cognitif et socio-affectif), le client est conforté dans son processus d’attachement envers l’entreprise et il éprouve un sentiment de plaisir dit « social » (sentiment d’être écouté, compris, considéré). Autrement, son processus d’attachement est contredit par l’absence d’alignement des points de contact de l’entreprise sur les motivations profondes du client et ce dernier éprouve un sentiment de douleur sociale (sentiment d’être ignoré, incompris, isolé).

Le plaisir social naît du sentiment d’être connecté à l’entreprise comme figure d’attachement. Il s’exprime à travers un vocabulaire qui reflète la chaleur physique, au sens propre comme au sens figuré : des relations chaleureuses, réchauffer le cœur. Inversement, la douleur sociale naît du sentiment d’être exclu ou incompris par l’entreprise comme figure d’attachement. Elle s’exprime à travers un vocabulaire qui reflète la douleur physique, au propre comme au figuré : la douleur sociale représenterait une sensation de douleur physique réelle. Des études d’imagerie cérébrale ont montré par exemple que la douleur sociale se construit à partir du même réseau cérébral que celui sollicité dans l’expérience de la douleur physique et émotionnelle, ainsi que celui sollicité dans les processus d’empathie, en particulier lorsqu’on observe quelqu’un éprouvé par la douleur.

Les expériences de plaisir et de douleur sociales ne sont donc pas seulement déclarées : elles sont aussi incarnées. Elles constituent un épisode émotionnel ressenti physiologiquement et déterminent significativement la connexion émotionnelle et de l’engagement du client. Lorsque les points de contact de l’entreprise sont alignés sur les motivations profondes du client, celui-ci éprouve un sentiment de plaisir social qui renforce la connexion émotionnelle avec l’entreprise et son engagement. Le client émotionnellement connecté à l’entreprise interagit de façon positive avec les points de contact; il co-construit son expérience et co-crée la valeur associée au service. Le client ainsi émotionnellement connecté et engagé contribue à soutenir la performance de l’organisation de façon directe (ex. achat /rachat) et indirecte (ex. bouche à oreille/recommandation). Toutefois, l’inverse est vrai : une organisation qui faillirait à aligner ses points de contact sur les motivations profondes du client susciterait un épisode de douleur sociale chez le client, ce qui annihilerait toute forme de connexion émotionnelle et d’engagement.

Omnicanal et connexion émotionnelle

Le principe de connexion émotionnelle montre que l’engagement du client dans une relation à long terme avec l’entreprise n’est pas seulement une question d’ordre transactionnelle—aider le client à atteindre ses objectifs—mais aussi une question d’expérience sociale—répondre aux motivations profondes du client qui sous-tendent ses objectifs. Le principe de connexion émotionnelle appelle les entreprises qui visent à établir une relation à long terme avec ses clients à considérer l’alignement de ses points de contact sur les états affectifs du client et sur les attentes sociales qui en résultent.

Certaines situations de consommation et/ou de production de service suscitent des états affectifs qu’il est possible d’anticiper. Un client qui contacte sa société d’assurance pour déclarer un sinistre est habituellement dans un état affectif négatif qui engendre un besoin de partage social de ses émotions, d’un support socio-affectif et d’une aide cognitive. Un expert, capable de déployer ses compétences empathiques, est sans aucun doute le meilleur point de contact que l’on peut offrir à son client. Un client qui voyage dans un hôtel situé en bord de mer pour y passer ses vacances d’été est dans un état affectif positif qui stimule son besoin de partage social des émotions et la recherche d’un support socio-affectif pour capitaliser sur cette expérience positive et rendre son séjour inoubliable. En ce sens, les GO du Club Med qui accompagnent les clients tout au long de leur séjour pour créer ce lien social et ce partage des émotions jouent un rôle très important dans l’enchantement et le ravissement du client—et donc dans la force de la connexion émotionnelle qu’il établit avec l’organisation. Enfin, toutes les situations de production et ou de distribution de service ne nécessitent pas de partager ses émotions et de trouver un soutien cognitif ou socio-affectif. Des situations de consommation routinières et quotidiennes appellent au contraire à des interactions simples et efficaces et qui épargnent au client le poids des interactions sociales et émotionnelles. En ce sens les comptoirs de service automatisés ou en ligne représentent l’option la plus avantageuse pour le client, celle qui s’aligne sur son état affectif—neutre dans ce cas.

Finalement, et dans une logique d’omnicanal, il est important de créer des liens entre les points de contact pour permettre au client de passer d’un point de contact à un autre selon le changement de ses états affectifs et de ses attentes sociales. S’il consulte mécaniquement son relevé bancaire grâce à une application en ligne et qu’il découvre une erreur de plusieurs milliers d’euros sur son compte, il est évident que la possibilité de contacter rapidement un conseiller permettra d’ajuster l’alignement des points de contact sur les états affectifs variables du client. Et ainsi de maintenir la connexion émotionnelle avec le client tout au long de son parcours d’achat.