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Mesurez votre culture client (en BtoB) !

Mesurez votre culture client (en BtoB) !

Interview

Serge Rouvière, directeur général de Why Consulting

L’orientation client est un sujet qui touche à bien des égards le secteur du BtoB. Certains cabinets mettent en œuvre des moyens innovants pour améliorer l’orientation, et donc la culture client. Survey-Magazine a rencontré Serge Rouvière, directeur général de Why Consulting et auteur de l’ouvrage « Culture client : l’ultime différentiation entre les entreprises » récompensé lors de la dernière édition de la Journée Française de la Qualité et de l’Excellence opérationnelle (organisée par l’Association France Qualité Performance et la Direction Générale des Entreprises (DGE).

Survey-Magazine : Quelles sont les composantes d’une « culture client » en BtoB ?

Serge Rouvière : La « culture client » d’une entreprise repose sur 2 piliers. Le premier porte sur les convictions partagées à la fois par les collaborateurs, le management et la direction sur la nécessité de replacer le client au centre des attentions et de rechercher constamment une meilleure compréhension de ses besoins. Le second concerne l’adaptation de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise pour répondre parfaitement aux attentes des clients. La « culture client » permet d’établir une relation de confiance (et donc à terme d’exclusivité) entre une entreprise et son client. Il existe 2 étapes essentielles pour accroître la confiance de ce dernier : la première consiste à lui faciliter la vie, en rendant les échanges ou encore les accès aux services plus aisés. Une fois cette première étape franchie, la seconde consiste à chercher à apporter des solutions à forte valeur ajoutée rendant le client plus performant (cf. figure). Certains secteurs d’activités n’en tiennent pas compte, ou ne l’ont pas encore compris, ce qui les plongent très souvent dans un contexte de « guerre des prix » malheureusement sans issue positive. Avec la crise économique, beaucoup d’entreprises à la recherche de nouveaux relais de croissance ont vu la démarche « orientée client » comme le moyen de différenciation dans un environnement changeant et de plus en plus concurrentiel.

Avez-vous un exemple à nous citer ?

Serge Rouvière : Le groupe français Gemalto que nous accompagnons depuis près de 15 ans, est parvenu au fil des années à créer une véritable relation de confiance avec ses clients qui est l’un de ses axes forts de différenciation. Aujourd’hui aucun de ses concurrents n’est en mesure de reproduire l’historique et les valeurs diffusées par Gemalto auprès de ses principaux clients. Les entreprises orientées clients arrivent à prendre des parts de marché majoritaires et à créer une nouvelle forme de monopôle, mais cette fois-ci, parfaitement vécue et acceptée par les clients ! Lorsque l’on y pense, je crois vraiment que c’est la « culture client » qui a permis à certaines entreprises américaines de creuser un rapide et profond écart avec nos entreprises tricolores. Elles ont compris depuis longtemps qu’un client qui a confiance était un client fidèle. L’une de nos études montre que le prix et la qualité des produits et des services ne sont responsables que de 30% des ruptures en BtoB ; 70% des ruptures sont dues à une relation client insatisfaisante. Ce constat dépasse parfois les frontières du BtoB pour trouver aussi une résonnance en BtoC.

Comment peut-on mesurer le degré de culture client des collaborateurs d’une entreprise ?

Serge Rouvière : En interrogeant les clients, seuls juges de la culture client de l’entreprise ! Les enquêtes de satisfaction permettent dans une certaine mesure d’appréhender ce degré de culture, à condition qu’il y ait un équilibre entre les thèmes purement métier et les sujets liés à la relation. Souvent, les enquêtes portent exclusivement sur des domaines techniques ne permettant pas aux clients d’exprimer pleinement ce qu’ils pensent de l’entreprise. Plusieurs indicateurs peuvent être utilisés. Citons les plus communs : le taux de satisfaction, le Net Promoter Score ou encore le Customer Effort Support. Cependant, en BtoB, ils ne sont pas satisfaisants pour vraiment mesurer la confiance d’un client et anticiper sa décision de ré-achat. Nous avons donc développé le Why Index® au début des années 2000. C’est une échelle de mesure d’importance / satisfaction élaborée sur la base de données déclaratives collectées à l’issue d’entretiens avec le client (téléphonique, web ou face-à-face).

Comment calculez-vous cet indice ?

Serge Rouvière : Préalablement, nous définissons 6 à 8 thèmes couvrant l’intégralité de l’expérience client. Par exemple : pratiques commerciales, gestion de projet, respect des engagements, gestion de la relation ou encore capacité à apporter des solutions innovantes. Les clients s’expriment librement sur chacun de ces sujets, c’est la partie « qualitative », essentielle pour construire des plans d’action. Ensuite, le client évalue chacun de ces thèmes en termes de satisfaction et d’importance accordées sur des échelles de 1 à 5. Le Why Index® est calculé à partir de ces notes. Un niveau de confiance élevé reflétera le fait que l’entreprise est performante sur ce qui est très important pour l’interlocuteur interrogé. Ne perdons pas de vue qu’en BtoB, il faut interroger plusieurs personnes au sein d’une entreprise cliente pour avoir une bonne vision de sa confiance : des utilisateurs, des décideurs et éventuellement des prescripteurs. Aujourd’hui, cet indice est utilisé par une quarantaine de grands groupes dans le monde.

Quelles sont vos recommandations pour adopter et diffuser une « culture client » en entreprise ?

Serge Rouvière : L’écoute client, puis le partage de la « voix du client » sont deux étapes complémentaires et essentielles. Un dispositif simple peut s’avérer très efficace s’il est bien conçu. Je pense par exemple à une société de location de voiture qui a réduit son dispositif à deux questions posées au client quand il rend son véhicule  : « comment votre expérience s’est passée ? » et « comment améliorer le service ? ». Mais le BtoB reste assez complexe à appréhender. Je conseille généralement l’élaboration d’un questionnaire comprenant une mesure de confiance, un recueil des points forts et des domaines d’amélioration et des questions sur l’évolution des attentes clients, la partie dite « prospective ». Les questionnaires doivent être structurés de façon analogue pour faciliter les comparaisons lors de l’analyse.
Les démarches d’écoute client doivent être utilisées pour améliorer réellement l’expérience du client. Nous poussons pour que les collaborateurs participent aux entretiens avec les clients. S’entendre dire les choses directement est un fort levier de changement. Les informations recueillies au cours des entretiens auprès d’un client sont analysées par les équipes et donnent lieu à des plans d’action présentés aux clients. Nous insistons notamment sur les actions relationnelles visant à accroître la confiance de chaque interlocuteur qui compte chez un client. Par exemple, cela consiste à lui envoyer la liste des personnes qu’il peut contacter s’il a dit qu’il ne comprenait pas l’organisation de son fournisseur, ou encore venir lui présenter un projet mené chez un autre client dans un domaine où il a exprimé de l’intérêt. L’implication forte des collaborateurs dans toutes les étapes constitue un fort levier de développement de la culture client. La voix du client permet de comprendre réellement ce qui est important pour les clients. Par exemple, lorsque le client évoque un problème, il n’attend pas que le fournisseur soit parfait et n’ait jamais de problèmes, mais que son fournisseur se mette à sa place et gère la situation de manière à ce que les impacts soient minimes pour lui. L’enjeu de la culture client est bien de « transformer les pépins en pépites », moto de l’AMARC.
L’humain reste au cœur de la performance des entreprises. Ainsi, je constate un mauvais usage du digital dans la relation client. On considère souvent le digital comme un canal de productivité, à l’image des bots qui peuvent industrialiser « en masse » la relation client. C’est une erreur ! La MAAF a supprimé des agences physiques au profit de call centers mais tout en veillant au respect de principes fondamentaux de la relation client comme l’écoute, la souplesse, la prise en charge et le rappel personnalisé des interlocuteurs. Le taux de fidélité client a bondi tout en répondant aux enjeux de productivité de l’assureur.