Laurent Florès, SLPV analytics, Président d’ESOMAR

Laurent Florès, SLPV analytics, Président d’ESOMAR

Survey-Magazine : Vous venez d’être élu à la Présidence d’Esomar. Quels objectifs et priorités vous êtes-vous fixées pour l’organisation ?

Laurent Florès : Mon premier objectif est d’élargir le métier des études tel qu’il est actuellement perçu, car le monde des études a beaucoup évolué ces dernières années et qu’il continue à se transformer en ce moment. Je constate actuellement un paradoxe fondamental : alors que tout le monde parle de « la data » sous toutes ses formes, le secteur des études reste en retrait sur la question. Pourtant, notre métier est bel et bien légitime pour parler de données, d’informations, de décisions, etc. C’est notre « pain quotidien » depuis de nombreuses années. Nous devons nous emparer de ce thème pour mieux nous projeter sur le devant de l’actualité. Pour cela, nous devons nous sortir de la seule pratique de collecte de données d’enquêtes (d’opinions généralement) et arriver à mieux appréhender et intégrer un process beaucoup plus large qui s’étend de l’analyse à la distribution de l’information. Le métier des études est avant tout un métier d’analyse et pas seulement de collecte. L’analyse doit s’envisager avec les outils et les données qui existent aujourd’hui.

Il y a une autre contradiction dans notre métier. On parle depuis des années d’études et de conseil, mais il est pourtant difficile de faire du conseil quand on est « institut d’études », et que le cœur de métier reste centré sur la collecte de données… données qui deviennent elles mêmes de plus en plus abondantes, et perçues comme « peu chères ». Les instituts d’études doivent sortir de leur « zone de confort » car notre métier va profondément évoluer. Par exemple, le marché du « business analytics » continue d’avoir une croissance soutenue, alors que celui des études a une évolution plus « flat », ou marginale. Pour autant, les instituts d’études peuvent-ils, doivent-ils se positionner sur le « Big Data ». Je ne pense pas, car ils ne sont pas, pour la plupart, en mesure actuellement de prendre en charge les spécificités métier qu’imposent le traitement de ce type de données. Le métier des études doit sans doute pouvoir considérer tous les nouveaux flux de données et mettre en place des process analytiques adaptés. Cette évolution technique conduira vers plus de conseil, ce qui participera à mieux satisfaire les donneurs d’ordre et les annonceurs, qui ont besoin d’être accompagnés. D’ailleurs, chez ces mêmes annonceurs, la fonction étude est très souvent enclavée dans une fonction de mise à disposition de données et pas suffisamment de
« business Partner » capable de recommander et d’accompagner la décision.
Il est certes difficile de faire évoluer le métier, mais j’y crois, et suis investi dans cette mission. Bien entendu, je n’ai pas la prétention de tout changer tout seul, mais de participer à une impulsion de fond pour provoquer et accompagner le changement. Il y va de la survie de notre industrie. Dans cette perspective, j’ai simplement envie de rendre à l’industrie ce qu’elle m’a apporté et de faire évoluer le métier. Il faut agir en exemple pour les futurs jeunes talents que nous devons continuer à attirer, leur donner envie, et leur montrer qu’ils ont leur place dans ce métier tout aussi intéressant que celui du marketing en général. Nous devons mieux valoriser ce que nous savons faire, mieux valoriser notre métier d’analyste pour la décision, le faire savoir, et pas seulement au sein de notre « petite » communauté mais bien au delà.

Comment voyez-vous la recherche marketing dans 10 ou 15 ans et avec quels acteurs ?

Le marché des études, tel qu’il est défini maintenant, n’est pas si « turbulent » que ça, qui plus c’est un marché relativement concentré. Cela signifie que tôt ou tard les grosses structures finissent par acquérir les petites et que les électrons libres finissent par « rentrer dans le rang ». Si rien ne change dans la pratique des études, des acteurs traditionnels du marché continueront de « mourir », alors que de nouveaux acteurs extérieurs ayant intégré la technologie, proposeront de plus en plus d’analyses à vocation d’études. Les études d’opinion continueront à exister bien sûr, mais avec une part de marché moindre par rapport aux autres acteurs d’un marché plus large qui est celui du « business analytics ».
Il y aussi une véritable question de fond sur le recrutement des profils qui vont « faire des études », une véritable remise à plat de ce que doit être le métier des études, en particulier sous l’influence incontournable du digital. Il y a également un changement indéniable à mettre en œuvre dans la façon de travailler, on ne doit plus parler de « projet d’études » mais de remontées d’informations en continu.

Comment se porte actuellement le marché de la recherche marketing dans les différentes régions du globe ?
L’évolution du marché des études est généralement corrélée à la croissance économique du pays. En France, il est stable voire baissier, tout comme au niveau européen. Aux Etats-Unis, le marché connaît une croissance de +3%. Le secteur en Asie continue de croître mais de façon moindre par rapport au marché américain. Le marché des études international est relativement stable et connaît une croissance nettement inférieure si on le compare au marché de « l’information/business analytics » par exemple.

Concernant les nouvelles technologies de collecte, comment positionnez-vous la collecte de données sur mobile ?

Le mobile permet de travailler l’interaction à chaud (film, voix, photo, etc.) et de se rapprocher du quotidien du consommateur. L’individu étant de plus en plus « SOLOMO » (Social, Local, Mobile), il est sans doute l’un des outils clefs de notre métier. Mais c’est un outil qui doit être adapté à la fois dans le contenu et la forme du questionnaire si il s’agit de collecter des données d’enquêtes. Le mobile est avant tout et surtout pourvoyeur de données comportementales géo-localisées, déjà largement utilisées à des fins marketing, les spécialistes des études devraient largement s’intéresser à l’analyse de ce type de données aussi, et pas seulement encore une fois, à considérer le mobile comme une simple alternative de collecte de données d’enquêtes. Les géants d’Internet l’ont bien compris, à commencer par Apple bien sûr, mais aussi Facebook ou Google qui vient d’annoncer récemment la mise en œuvre de services de téléphonie mobile. Certains disent que « the new oil, is data », j’en suis également convaincu, à nous de saisir cette opportunité pour mieux valoriser notre métier. n