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Au-delà d'une fidélité au point de vente : vers une nouvelle forme de fidélité sociale et collaborative chez la génération Z ?

Fidélité collaborative

Si on qualifie souvent les Z (nommés encore les digital natives, nés après 1995) de consommateurs volages ou zappeurs, la raison est que les marketers tendent à se centrer sur la dimension utilitaire du shopping ainsi que sur la digitalisation à 100% du point de vente, sans prendre en compte toutes les dimensions de la fidélité. Les Z ne sont pas tant fidèles aux programmes de fidélité, qu'aux expériences que la marque leur apporte et aux relations sociales que la marque construit et partage avec eux. La fidélité prend dès lors toute une autre forme chez les jeunes consommateurs: elle est centrée sur la dimension sociale et collaborative. Comment le distributeur peut-il entretenir et développer la fidélité du Z au point de vente ? Face à la montée en compétences des Z en tant que conso-acteurs, comment les entreprises doivent-elles se positionner pour fidéliser les Z sans leur faire perdre la possibilité d'être partie prenante du programme de fidélisation ?

La majorité des marques développe des programmes de fidélité sur des mécaniques exclusivement transactionnelles en proposant des réductions de prix pour récompenser les actes d'achats de leurs clients, ce qui limite grandement l'intérêt du programme pour le consommateur. En effet, ces programmes de fidélité transactionnelle contribuent plutôt à créer des comportements de consommation opportunistes, en boostant le chiffre d'affaires grâce à des promotions à court terme, sans instaurer une relation durable. On sait que 89 % des internautes ont une opinion négative des programmes de fidélité des marques, qui se tournent sur la transaction. Pourtant l'intérêt de développer un programme de fidélité n'est plus à prouver : un client fidèle achète plus souvent et est sept fois moins coûteux à fidéliser qu'à conquérir ! La fidélité transactionnelle ne suffit plus aujourd'hui : les consommateurs, notamment ceux issus de la génération Z, souhaitent que leur fidélité soit récompensée non seulement via des bons de réduction ou des cadeaux mais aussi et surtout via le développement de liens sociaux (fidélité sociale) et la possibilité d'être partie prenante du programme de fidélisation (fidélité collaborative).

Vers une fidélité plus sociale dans l'expérience de shopping des Z

Détenir une carte de fidélité ne fait pas d'un client, un client fidèle. Les Z recherchent de l'hédonisme et du lien social dans la consommation. Rappelons quelques chiffres : Faire du shopping en groupe, avec ses amis, correspond à un comportement fréquemment observé chez les Z. 70 % des adolescents affirment privilégier les visites en boutiques avec leurs amis, plutôt que seuls (31 %) ou avec leurs parents (24 %). La pratique du shopping en groupe est le plus souvent hebdomadaire (39%) ou mensuelle (42%). Une étude qualitative réalisée auprès de 16 adolescents, âgés de15 à 18 ans, combinant des approches variées (entretiens individuels, entretiens de groupe et observations de séances de shopping), a montré que la fidélité des Z à tel ou tel magasin est liée à celle de ses pairs. En d'autres termes, si une enseigne souhaite fidéliser un consommateur Z, elle a plus de chance d'y parvenir si cette dernière prend en compte son groupe de pairs. Ces résultats corroborent des travaux menés dans le cadre de la consommation culturelle montrant qu'un festivalier vient le plus souvent en groupe (famille, amis) et que sa décision de revenir au festival suivant tient plus à la fidélité de ses accompagnateurs qu'à sa propre satisfaction. On voit bien que les accompagnateurs jouent alors un rôle clé dans la fidélité d'un individu, et encore plus particulièrement chez le Z à la recherche de lien social, ce qui conduit à évoquer la notion de « fidélisation sociale » (ou « fidélisation collective »). A cet effet, Price, Malshe et Arnould définissent la fidélité à « une part de cœur » plutôt qu'à « une part de portefeuille ».

Les enseignes ont donc tout intérêt à dépasser les critères centrés sur la transaction pour développer des programmes de fidélisation centrés sur le développement de liens sociaux et sur la mise en œuvre d'un marketing communautaire, tribal : miser sur une communication relayée sur les réseaux sociaux micro-communautaires tels que snapchat, fortement plébiscités chez les Z ; développer une politique promotionnelle élargie au groupe proposant un % de remise selon le nombre de produits achetés et la taille du groupe de pairs ; mettre en œuvre une carte de fidélité commune pour un petit groupe de pairs pratiquant le shopping régulièrement ensemble…

D'une fidélité sociale à une fidélité collaborative

Développer la fidélité des Z ne consiste pas seulement à les « ancrer » dans la dimension sociale, via leur groupe de pairs. Désormais la fidélité prend la forme de l'engagement et repose sur la valeur que les Z apportent en recommandant la marque et en co-construisant de nouvelles offres avec elles. Dès lors, au-delà de la dimension sociale, la fidélité s'étend désormais à la dimension collaborative, se référant à la capacité du consommateur Z à être partie prenante du programme de fidélisation. Par exemple, Urban Outfitter, marque de prêt-à-porter, a lancé un programme de fidélité ludique, participatif, « donnant-donnant » pour les Z, via une application mobile. Les Z inscrits sur l'application cumulent des points selon la promotion qu'ils font de la marque sur les réseaux sociaux. La marque récompense les consommateurs les plus engagés par des avantages exclusifs comme des concerts gratuits, des produits en avant-première…, tout en collectant des données personnelles, avec leur consentement. La stratégie de communication de Urban Outfitter est simple et repose sur le slogan suivant : « Je mentionne la marque sur Twitter ou sur Facebook, je poste des photos de moi avec des vêtements sur Instagram ou Pinterest, et hop ! J'accumule des points de fidélité ! ». D'autres nouvelles applications voient le jour, et transforment les amis des ados en VRP, comme l'a fait Sharedise. Le principe est étonnant : Julie, 15 ans, prend en photo les escarpins qu'elle vient de s'acheter avec son smartphone et publie la photo sur les réseaux sociaux. Ainsi, l'adolescente contribue à faire la publicité de la marque de ses chaussures, et si des « amis » cliquent sur le lien, elle sera récompensée par la marque. L'utilisation des réseaux sociaux numériques « micro-communautaires » privilégiant la qualité des relations (de type Snapchat, de par son caractère instantané et personnel) à la quantité des relations (Facebook) s'avère particulièrement efficace pour développer des programmes de fidélité chez les Z. Non seulement les Z sont plus sociaux, mais ils sont aussi plus créatifs. Il importe de se pencher sur le statut de « conso-acteur » des Z pour dégager de nouveaux programmes de fidélisation, basés sur la conception originelle du marketing relationnel, fondés sur l'engagement client et la prise en considération des compétences des Z en matière numérique et créative, qui se détournent des programmes de fidélisation basés sur la conception transactionnelle. Par exemple, de nouveaux programmes de fidélité collaborative voient le jour pour les Z, consistant à faire un selfie d'un produit en magasin en présence de ses amis, à le poster sur Facebook pour ensuite gagner des points de fidélité. Le Z passe alors du simple statut de consommateur à celui d'ambassadeur d'une marque et d'influenceur: il prend en main sa fidélité en ayant accès à l'application mobile ou au site de l'enseigne et gère de lui-même les offres qu'il souhaite recevoir.

Une fidélité basée à la fois sur le digital et sur l'humain

Aujourd'hui, uniquement 10% des programmes de fidélité sont dématérialisés. Les enseignes, pour 58% d'entre elles, pratiquent l'adhésion au programme de fidélité en magasin, seulement 8% proposent des adhésions au programme de fidélité en ligne, et 18% proposent des services exclusifs pour les inscrits. Pourtant, les Z sont des acheteurs en ligne, que ce soit pour des livres et des DVD (72%), des vêtements et des chaussures (57%), des accessoires (40%) et des vidéos (38%). L'achat en ligne répond à un besoin grandissant de personnalisation qu'ont les Z d'être à l'affut de produits « uniques » qu'on ne trouve pas dans des magasins de chalandise de leurs pairs, différents des autres, afin de marquer leur propre personnalité. Cela se traduit non seulement par des transactions sur les sites de marques ou sur les sites généralistes mais, selon une étude réalisée par OpinionWay pour la société de collectes d'avis Trusted Shops, 25% des 18-24 ans envisagent de réaliser directement leurs achats sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter. Les Z sont très sensibles (88 % contre 78 % chez les plus de 35 ans) aux avis de leurs amis qui sont un gage de confiance. L'influence accrue des réseaux sociaux numériques remodèle les pratiques du marketing et offre de nouvelles possibilités de fidéliser les jeunes. Par exemple, Sephora utilise la technologie « MobileVoice » pour que ses jeunes clientes lisent les avis et les commentaires d'anonymes ou de leurs amies. Les communautés de jeunes consommateurs, via des groupes sur les réseaux sociaux ou via leurs propres canaux, sont de véritables espaces où les Z peuvent partager des conseils et des expériences, un gage de fidélité. Les actions en terme de campagnes de fidélisation sont nombreuses : inciter au partage sur un réseau social après une expérience d'achat, inviter le partage de retour d'expérience positif en intégrant des modules d'avis, récompenser le parrainage entre membres, proposer des défis avec la communauté et partager les résultats, jouer sur la gamification en créant des jeux compétitifs entre les Z…

Même si les entreprises continuent à investir dans les technologies digitales, elles ont bien compris que le digital ne reste qu'un outil et une facette de l'expérience client. Les Z, en quête de liens sociaux authentiques, ne sont pas prêts aujourd'hui à basculer totalement sur Internet pour se rendre dans des formats de magasins 100% digitalisés, sans personnel façon Amazon go. La preuve en est : près de 60% des Z rêvent que des pures-players ouvrent des magasins physiques. Les Z recherchent dans leurs expériences de shopping au point de vente physique la réalité augmentée, plutôt que la digitalisation à 100%. C'est le cas de l'enseigne New-Look qui a équipé ses magasins de tablettes tactiles, l'enseigne Morgan a développé le miroir totalement connecté permettant au groupe de pairs d'essayer des produits et de se prendre en photo, la Halle aux chaussures a équipé ses boutiques de bornes interactives pour commander les produits non disponibles en stock. C'est aussi l'exemple de l'enseigne Kiabi qui a ouvert un espace 100% adolescent, combinant le offline (animations pour les Z autour de l'expérience collective: DJ, goûters, stands de maquillage, fêtes de la mode en couleurs) et le online (espace connecté avec tablette et service de e-réservation). Ou encore Séphora qui a lancé sa nouvelle expérience « Teach, Inspire, Play », portée par la technologie phygital, qui plait particulièrement aux jeunes consommatrices : ces dernières peuvent y shopper via un Lookbook digital et se retrouver à prendre des photos d'essayage collectif devant le miroir connecté. En vue de fidéliser les Z, le magasin devient ainsi un lieu de partage d'expériences, de socialisation, d'interactions sociales, et de création d'émotions positives avec le groupe de pairs. Cette évolution de la fidélité sociale et collaborative au point de vente a bien sûr des implications managériales dans le monde de l'entreprise. D'un point de vue plus managérial, la start-up Merito, lancé en 2016, a remporté le prix de l'année en 2018 récompensant les starts-up les plus innovantes de la Paris Retail week, grâce à sa plateforme de recrutement instantanée, baptisée Share, qui permet aux retailers de se partager les employés et d'encourager la fidélité des employés en leur proposant de rencontrer de nouveaux collaborateurs.

Mieux fidéliser les Z grâce aux insights social media

L'insight est un éclairage destiné à matérialiser une vérité consommateur, et la connaissance du consommateur passe par les données d'enquêtes. Pourtant, demander directement aux consommateurs d'évaluer leurs insights présente un biais puisque les consommateurs se concentrent à répondre aux questions qui préoccupent les marques, sans donner leurs avis sur des questions qu'on ne leur pose pas. Dans ces conditions, l'insight infère le point de vue de la marque plutôt que l'expérience véritable vécue du consommateur en situation d'usage du produit. Les études, basées sur le déclaratif, ne permettent pas de rendre compte de la réalité des comportements de consommation. Appréhender de manière fine et objective les comportements et les usages des Z pour trouver les bons insights s'avère essentiel pour les marques afin d'anticiper les propositions de valeur qui feront sens demain.

Recourir aux médias sociaux est une méthodologie robuste révélant des insights qui peuvent être utilisés pour favoriser la fidélité client. Par exemple, les outils de social media listening permettent de capter les insights consommateurs et les organiser par grandes étapes du parcours client (la phase de découverte et de recherche d'information via Internet que l'on capte via le monitoring associés aux marques sur Google ; la phase de conseils et d'appréciation, d'expérience in store ou encore l'après achat et le besoin de partager l'information à la communauté). Etudier et analyser le contenu généré par les réseaux sociaux numériques et les forums de discussion de la communauté de fans d'une marque permet de détecter les influenceurs potentiels. D'après une étude récente menée par Kantar Média (2017), 8 jeunes consommateurs Z sur 10 reconnaissent être sensibles aux influenceurs et 63% des Z reconnaissent être plus attentifs aux recommandations d'influenceurs que de célébrités venues des médias traditionnelles. De plus en plus de marques destinées aux Z s'orientent vers un marketing d'influence en développant un partenariat avec un influenceur (souvent un blogueur ou un youtubber, à l'instar de « Enjoy Phoenix », la bloggeuse de mode fétiche des adolescentes, l'ambassadrice de Gemey Maybelline). A trop se focaliser sur la data via le social media, n'omet-on pas le consommateur Z, dans sa vie réelle, à la recherche de relations authentiques ? Pour entrer en empathie avec les Z, imaginer comment mieux répondre à leurs attentes et mieux les engager et les fidéliser ; il faut réussir à renouer avec eux un lien à un autre niveau, un lien plus personnel, authentique et intime. Cette connaissance du consommateur passe par l'immersion dans le milieu naturel pour comprendre la réalité quotidienne de la vie en groupe des Z. La démarche ethnographique (observation, photographies prises par le groupe de pairs lors de séances collectives de shopping…) est une ressource pertinente, dépassant le stade du déclaratif ainsi que les biais liés à la désirabilité sociale, pour comprendre le fonctionnement du groupe de pairs et mettre en œuvre un programme de fidélisation centré sur la dimension sociale et collaborative. Comprendre les rôles différenciés au sein des groupes en vue d'identifier le leader des suiveurs permet d'adapter les différents types de bénéfices de programmes de fidélisation selon la position du Z au sein de son groupe. Les leaders sont particulièrement sensibles aux avantages symboliques (appartenance et reconnaissance) qui leur permettent d'être reconnus comme des clients importants alors que les suiveurs sont plus réceptifs aux avantages hédoniques (divertissement et exploration) du programme. Au niveau de la carte de fidélité, il serait judicieux de proposer aux jeunes Z leaders d'un groupe une carte de fidélité dont ils sont porteurs, ce qui renforcerait leur position privilégiée de leaders dans le groupe. Les suiveurs, quant à eux, disposeraient de mini-cartes abondant le même compte. n