« Service client », « expérience client », « organisation orientée client »… Décidément le client semble au centre de toutes les attentions et préoccupations actuelles. L’un des outils incontournables des directions marketing est l’enquête de satisfaction. Et si, tout cela n’était bien souvent qu’une belle façade ? Allons ensemble au-delà de quelques faux-semblants et idées reçues.
Un dur constat : plus de 80 % des enquêtes de satisfaction passent à côté de la mesure de la réalité !
Nous commencerons par laisser de côté ce que nous pouvons qualifier de « fausses enquêtes » de satisfaction. Dans ce cas, l’intention n’est pas de mesurer la véritable satisfaction ou insatisfaction du client. L’objectif est juste de se prévaloir du fait qu’une enquête a bien été réalisée. Un exemple classique ? Certaines entreprises mettent en place un système de management de la qualité selon la norme ISO 9001. Cette norme, aujourd’hui répandue, implique de mesurer régulièrement l’adéquation entre l’offre et les attentes du client. Dès lors, il est tentant d’instaurer des enquêtes de satisfaction très « automatisées », conçues pour répondre aux exigences apparentes de la norme et non pour répondre à son véritable état d’esprit. En clair, peu importe si l’on ne recueille pas le vrai ressenti du client, du moment que l’on peut montrer qu’une enquête a bien été menée. Il s’agit évidemment d’un grave mais classique détournement de l’esprit de la norme. Cependant, cette approche qui consiste à se donner un vernis « mesure de la satisfaction client » concerne bien d’autres entreprises (hors norme ISO 9001).
Commençons par être réaliste : n’oublions pas les difficultés grandissantes à obtenir des retours d’informations de la part de clients déjà sur-sollicités par les innombrables actions marketing (constat personnel : le Big Data qui se démocratise, contrairement aux discours tenus, ne fait qu’augmenter ces multiples sollicitations…).
Analysons maintenant pourquoi les enquêtes passent si souvent à côté de la réalité. Plusieurs raisons majeures sont à évoquer.
La méthodologie même de la majorité des enquêtes est à repenser en profondeur. Aujourd’hui, les organisateurs d’enquêtes mettent en avant un savoir-faire « scientifique » fortement basé sur l’utilisation de méthodes et d’outils statistiques, de logiciels de traitement des données très sophistiqués. Que vaut cet arsenal face à la plus triviale des réalités : les personnes sollicitées ne répondent que très rarement en toute franchise. Cela est vrai en face-à-face mais aussi, dans une certaine mesure, dans les enquêtes sans contact humain direct (tablette, Internet…). Pourquoi ? Parce que, hors situation aigüe de mécontentement et hors contexte immédiat d’achat ou d’utilisation, nous édulcorons toujours nos propos. C’est humain. Crainte de choquer l’interlocuteur (en contact direct), manque de temps disponible pour décrire son ressenti, fatalisme (« à quoi ça servira vraiment que je donne le fond de ma pensée »), etc.
De plus, les questionnaires quantitatifs sont généralement beaucoup trop fermés et ne permettent pas d’exprimer ce que l’on aimerait dire en tant que client. Avez-vous également remarqué combien certaines questions sont taboues ? A commencer par les prix et tarifs. Comme si le fait de faire réagir le client créait le problème d’un prix éventuellement perçu comme trop élevé.
Alors, en tant que client, à quoi bon m’investir et m’impliquer ? Soit je ne réponds pas, soit je réponds « pour la forme », pour qu’il soit dit que j’ai répondu à leur « fichu questionnaire ».
Ne pas oublier au passage que les personnes qui ne répondent pas aux enquêtes sont parfois celles qui auraient le plus à dire, celles dont les avis seraient les plus précieux…
Donc il n’est guère surprenant qu’en dehors d’une « situation de crise » avec le client, le taux moyen des avis « satisfait » ou « très satisfait » tourne quasi systématiquement entre 75 et 85 %. Ce qui, dans la majorité des cas ne veut strictement rien dire. Nous avons seulement réalisé là une belle enquête d’autosatisfaction dont nous aurions pu très bien nous passer (gain de temps et d’argent à la clé…).
Nous en convenons : nos propos ne sont pas « politiquement corrects ». D’autant plus que les enquêtes de satisfaction (tout comme les études de marché) relèvent d’un véritable « business ». Pourtant, à partir du moment où j’investis dans une enquête, ne serait-il pas logique que celle-ci soit un véritable instrument au service de l’amélioration de la « relation client » et de l’efficacité de l’entreprise ?
Quelques réflexes pour fiabiliser ses enquêtes de satisfaction…
1) Arrêtons de raisonner « quantité de questionnaires » et privilégions
plutôt la qualité des réponses.
Ne vaut-il pas mieux (en règle générale) 50 ou 100 retours
d’enquêtes fiables où l’on suppose que les personnes
interrogées ont répondu avec franchise que 500 ou 1000 questionnaires
complètement « survolés » ? En pratique la réponse est évidente. Mieux
vaut donc faire « moins » mais « mieux ». Tant pis pour les sacro-saints
traitements « automatisés », statistiques et courbes sophistiquées qui,
finalement, ne veulent pas dire grand-chose. Donc il n’est pas
illégitime de se poser sincèrement la question de la viabilité des
résultats d’enquêtes de satisfaction de type quantitatives. Nous
avons observé bien trop d’enquêtes de satisfaction qui relèvent de
l’abattage pur et simple (mais dont les résultats étaient
soigneusement habillés par un verbiage pseudo-scientifique).
Notre analyse des méthodes d’enquête montre que, finalement, rien
ne remplace un contact direct avec les personnes interrogées. Mais à une
condition absolue : faire immédiatement comprendre à son interlocuteur
que le vrai service qu’il nous rend est de répondre en toute
franchise et que c’est grâce à cette franchise que
l’entreprise pourra améliorer la « relation client ».
N’en déplaise aux tenants des enquêtes « automatisées », il faut
savoir écouter ses clients en ouvrant les réponses possibles. On ne peut
se contenter de questions qui enferment la personne dans un choix limité
et frustrant de réponses. Le minimum est d’accorder à tout niveau
du questionnaire la possibilité de rajouter des commentaires libres. En
toute logique, certains de nos lecteurs vont évoquer le fait qu’il
est toujours plus difficile d’interpréter une réponse libre plutôt
qu’une simple case cochée. Ils ont parfaitement raison mais
l’objectif d’une enquête de satisfaction est d’abord
de capter des informations qui ont une valeur réelle, de capter
également ce que l’on appelle aujourd’hui des « signaux
faibles ».
Bien entendu, il convient d’éviter de court-circuiter les questions généralement perçues comme « délicates » par les services Marketing. L’une de ces questions éludées dans nombre de questionnaires est relative à la perception des prix et tarifs. Rien de plus frustrant et exaspérant pour le client !
D’autres questions ne sont pratiquement jamais posées. Elles pourraient pourtant nous en apprendre beaucoup sur la perception du client. Expliquons en quelques mots : jamais, dans notre histoire, les services Marketing n’ont été aussi performants dans les actions qui relèvent de la communication client. Jamais l’écart entre les « promesses marketing » et la réalité vécue par le client ne semble avoir été aussi important. Nous pensons qu’il va devenir vital pour nombre d’entreprises de vérifier soigneusement que cet écart ne se transforme pas en un mortel divorce. A ce titre, nous conseillons d’introduire des questions relatives à ce que l’on pourrait qualifier de « ressenti » par le client à l’égard de l’entreprise. En clair, comment le client perçoit-il l’entreprise en termes d’honnêteté, de loyauté, de respect, de confiance… Le tout en se gardant bien de penser que ces notions relèveraient d’un quelconque esprit « Bisounours » !
2) Comprenons bien qu’investir de son temps personnel pour répondre à une enquête de satisfaction est un grand service que l’on demande au client. Un service qui exige un minimum de contreparties…
Quelles sont donc ces contreparties ? Nous ne pensons pas que promettre un tirage au sort, des offres promotionnelles ou tout autre « cadeau » soit la bonne solution. Certes, on augmentera le nombre de retours mais on ne fiabilisera certainement pas les résultats de l’enquête. Nous l’avons maintes fois remarqué, les personnes qui acceptent réellement d’investir du temps dans les réponses à une enquête ont le sentiment de contribuer à une amélioration de « l’expérience client ». Le souhait de la plupart d’entre-elles est d’abord d’être tenues informées de la prise en compte de leurs avis, de leurs remarques, de leurs suggestions. La moindre des choses est alors d’annoncer qu’un retour d’informations sera fait. Hors de question, bien sûr, d’aller livrer tous les retours de l’enquête ni même de faire des retours individualisés. En revanche, une pratique appréciée peut consister à transmettre une petite synthèse courte donnant quelques tendances et quelques éléments d’évolution et d’amélioration prévus suite à l’enquête. A défaut, même les personnes les plus impliquées se lassent vite : « Finalement, à quoi ça sert de répondre, on n’a même pas l’impression qu’ils prennent en compte ce qu’on leur dit ».
Et si nous profitions de l’enquête de satisfaction pour explorer le « rêve du client » et pour partir à la recherche de la « vraie bonne idée » ?
Nous venons de l’évoquer : réaliser une étude de satisfaction fiable est un véritable investissement. Dès lors, pourquoi donc se cantonner aux questions visant à mesurer la seule satisfaction sur l’instant comme nous le voyons souvent. Autant profiter de l’enquête pour aborder, par exemple en fin de questionnaire, les souhaits à plus long terme des clients, les développements possibles d’activités et d’offre commerciale. Et pourquoi ne pas faire appel aussi à la créativité des personnes interrogées. Voici quelques exemples de questions (au choix) qui peuvent s’avérer profitables en termes de retours et de bonnes idées :
- « Réfléchissons un peu ensemble : en toute franchise quel serait, pour
vous, le fournisseur / le prestataire idéal ? Comment
l’imaginez-vous, que pourrait-il bien vous proposer ? »
- « Si vous étiez à notre place, très franchement, que
chercheriez-vous à améliorer ou à proposer en plus aux clients ? »
Nombre de responsables marketing affirment un peu trop rapidement que ce genre de « consultation » ne sert pas à grand-chose car seule une infime minorité de personnes interrogées prennent le temps de s’impliquer. Nous affirmons le contraire. Lorsqu’une enquête de satisfaction ne relève pas de l’abattage précédemment évoqué, lorsque l’on prend réellement le temps de dialoguer avec son interlocuteur, les bonnes ou très bonnes idées sont fréquemment au rendez-vous. Nous avons été témoin de cas où l’entreprise, lors d’une enquête de satisfaction ainsi menée, a capté l’idée qui a finalement permis de creuser le grand écart avec la concurrence.
On pourrait à juste titre se demander s’il existe une cloison étanche entre les enquêtes de satisfaction et les études de marché. Dans les cours de marketing traditionnel, la réponse est « oui ». Dans la réalité, nous soutenons qu’une bonne enquête de satisfaction doit ouvrir la porte à l’amorce d’une future étude de marché. Mais d’accord avec nos lecteurs, ne mélangeons pas tout : la véritable étude de marché pourra être la suite logique d’une première phase qui relève de l’enquête de satisfaction.
N’hésitons pas à dépouiller nos enquêtes de satisfaction d’un certain nombre d’oripeaux statistiques pour nous consacrer au recueil d’informations plus sincères et plus utiles. Soyons clairs, ce ne sont pas les méthodes et outils mathématiques qui sont critiquables en eux-mêmes. Ce qui est critiquable, c’est d’oublier qu’on les applique à des données humaines relevant du ressenti et d’une certaine subjectivité. Dans ce cas, les statistiques, aussi élaborées soient-elles, ont clairement leurs limites.
Même si nous réussissons à rééquilibrer les retours d’enquête vers plus de franchise, il conviendra bien évidemment de nous focaliser sur les questionnaires qui font état d’un mécontentement du client. Leur analyse sera évidemment plus riche d’enseignements qu’une analyse poussée de questionnaires « positifs ». Bien entendu, il convient de relativiser les retours émanant des « râleurs professionnels » (ils existent). Que l’on soit simple commercial, directeur marketing ou DG, il n’est jamais agréable de constater qu’un pourcentage plus ou moins élevé de clients n’est pas satisfait. Nous citerons un certain Bill Gates qui déclare : « Vos clients les plus mécontents sont votre plus grande source d’enseignement ».
Nous pourrions affirmer qu’une enquête de satisfaction bien menée est un formidable outil de progrès pour toute l’entreprise. A condition de savoir sortir des « canons » enseignés à l’université ou en grandes écoles de commerce et souvent trop appliqués à la lettre par nombre de responsables marketing.
Une enquête de satisfaction ne saurait relever de la science mais plutôt d’un ensemble de techniques d’abord inspirées par le bon sens.