La distribution est un secteur particulier à bien des égards. Les clients sont très volatiles et la sélection de l’assortiment produit en magasin détermine le choix du magasin. Les enseignes se doivent ainsi, plus que d’autres peut-être, d’être constamment à l’écoute des clients afin de leur proposer l’offre qui les satisfera le mieux pour remplir les objectifs de croissance. En 1963, l’économiste américain Charles Kepner écrivait : « Le bon produit, au bon endroit, au bon moment, au bon prix, en bonne quantité».
Survey-Magazine : Quel besoin métier a été l’origine de ce projet data ?
Oriane Verbeke : Notre réseau est constitué de magasins avec des surfaces de vente inégales, qui dictent l’offre produits disponible en rayon. L’objectif était de pouvoir adapter au mieux l’assortiment de chacun de nos 117 magasins pour répondre aux besoins des clients. Pour cela, nous avons « passé à la loupe » chaque ticket, pour savoir selon le moment de la journée, le jour… ce que le client vient chercher dans son supermarché Match et ainsi définir une vocation pour chaque magasin, savoir à quoi il sert. À partir de là, nous sommes en mesure d’adapter l’offre (largeur et profondeur de gammes) et le merchandising (disposition des rayons) de chaque point de vente. Nous avons ainsi mieux cerné les comportements d’achat par magasin de l’ensemble de nos clients, dont ceux qui ne sont pas détenteurs de la carte de fidélité, et pour lesquels nous ne possédons aucune information mise à part leurs données transactionnelles qui sont visibles sur leur(s) ticket(s) de caisse. Il était clair que nous devions être accompagnés par des experts avec les compétences techniques pour mettre en œuvre un tel dispositif. Avec l’équipe Golden Eyes, nous avons réussi à collecter, trier, stocker et surtout analyser l’intégralité des données de transaction pour obtenir une vision complète des ventes réalisées par magasin.
Quelle est la valeur ajoutée de la démarche ?
Oriane Verbeke : Beaucoup d’enseignes dressent des segmentations clients. L’avantage de la segmentation tickets est qu’elle permet de prendre en compte l’ensemble des acheteurs. L’intérêt est de pouvoir ensuite croiser ces deux sources de données, et déterminer précisément ce que le client vient acheter dans chacun de nos magasins. La connaissance client est augmentée, ce qui conduit à une meilleure prise de décision.
Cyrille Peixoto : La démarche s’inscrit dans une stratégie très opérationnelle d’optimisation de l’assortiment produits de chaque magasin. En ce qui concerne les clients porteurs de la carte, les supermarchés Match ont désormais à disposition d’autres indicateurs de consommation que les classiques ratio quota/rayon ou comportement d’achats par segment de clients pour effectuer les meilleurs choix d’assortiment produits.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le dispositif ?
Cyrille Peixoto : Avec les supermarchés Match, nous
avons pris le choix d’étudier la donnée sous le prisme du ticket
en cherchant à réunir et/ou dissociant les segments de clientèle selon
les produits qu’ils achètent. La démarche est assez innovante. Le
point de départ étant le passage en caisse, on a cherché à donner une
vocation à chaque passage caisse des clients, sans se soucier vraiment
du profil de l’acheteur (sexe, âge, catégories
socio-professionnelles, etc.). La segmentation tickets vise à réunir les
tickets de caisse qui se ressemblent le plus, au sein de segments de
tickets qui doivent être les plus différents possibles. Une fois les
tickets regroupés, nous observons dans le détail les achats : panier
moyen, montant, jour de l’achat, moment de l’achat,
catégorie de produits, gamme de produits (MDD, marque nationale,
premium…), etc. Lorsqu’il s’agit d’achats de clients
cartés, nous identifions également le profil des clients et nous
croisons les données de la segmentation tickets avec celles disponibles
dans l’outil CRM des supermarchés Match. Pour mener jusqu’au
bout l’étude, nous nous sommes enfin intéressés aux
caractéristiques de chaque magasin par le biais de la segmentation
tickets afin de dresser un portrait-robot de l’assortiment idéal
de chaque magasin en fonction de sa localisation géographique (urbain,
rural), de sa région d’implantation, de sa taille, etc.
Oriane Verbeke : En interne, ce vaste projet a été
porté par la direction marketing. Il a mobilisé de nombreux métiers au
niveau opérationnel comme les chefs de marchés et les chefs de projets
merchandising, qui sont les premiers à en bénéficier, et pouvoir
conduire par la suite la transformation auprès des forces de vente et de
la direction commerciale.
Quelles technologies avez-vous retenues ?
Cyrille Peixoto : Nous avons eu recours à plusieurs outils d’analyse statistique comme le logiciel open source R et l’outil SPAD de Coheris pour visualiser de façon graphique les résultats obtenus. C’est la solution Apache Spark qui nous a permis de traiter le volume énorme de données avec la possibilité de calculs distribués. Du point de vue technique, nous avons travaillé directement au sein du data warehouse mis à disposition par les supermarchés Match. Au niveau de la méthodologie, nous avons distingué les tickets de caisse par vocation (s’agit d’un ticket mono-article ? s’agit-il d’achats alimentaires ? s’agit-il d’un « plein de course » …) avec la méthodologie des c-means, en les illustrant ensuite par des arbres de décision. Bien sûr, en amont dans la phase exploratoire, nous avons mené de multiples analyses factorielles pour « défricher le terrain ».
Quels bénéfices retirez-vous pour la connaissance client et la prise de décision ?
Oriane Verbeke : Nous pouvons désormais cibler la
fonction particulière de chaque magasin, au-delà de la classification
par cluster, très simplificatrice. L’équipe merchandising peut
ainsi dresser des recommandations fines à l’échelle de chaque
magasin. Encore une fois l’objectif est l’amélioration de
l’offre produit et l’adaptation de la largeur de gamme, mais
aussi c’est aussi un moyen de faciliter le parcours client pour
toute notre clientèle (porteuse de carte ou non). Pour l’instant,
nous nous basons sur une seule segmentation tickets. L’idée est de
réitérer l’étude chaque année afin de constater et de mesurer les
évolutions par magasin. La segmentation tickets, croisée avec
d’autres données internes, est une formidable mine
d’informations pour l’entreprise.
Les équipes marketing (chefs de marchés, chefs de produits) sont les
premières à en tirer parti, ainsi que bien sûr les chefs de projets
merchandising pour ce qui est de tous les projets d’aménagement et
de réaménagement de zones de vente au sein des magasins. Le service
études, bien évidemment, profite aussi de cette connaissance pour
élaborer des offres qui correspondent aux achats des clients porteurs de
la carte de la fidélité. Il y a là, un vrai enjeu de prouver à nos
clients qu’on les reconnaît, qu’on les connaît et
qu’on les « récompense » en fonction de leur comportement
d’achat. Je dirai enfin, que ce projet data nous permet vraiment
d’être plus agile dans notre métier avec l’idée du
test&learn.