Dan Ariely : Nous ne décidons de rien !

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Nous pensons contrôler nos décisions mais il n’en est rien. Nos biais de jugements sont tellement systématiques et récurrents qu’ils en deviennent prévisibles. A partir de ce postulat, comment peut-on encore se fier au déclaratif de nos consommateurs ? Ce qu’ils disent ne peut être pris pour argent comptant ! Même de bonne foi, leurs discours comportent de nombreux biais qui ne leur permettent pas d’expliquer leurs décisions puisqu’il ne décident pas librement même s’ils le croient. Faisons le point avec l’un des plus grands spécialistes de l’économie comportementale, Dan Ariely.

« Quand vous vous levez le matin, vous ouvrez votre placard et vous avez l’impression de choisir ce que vous allez porter puis vous ouvrez votre réfrigérateur et vous avez l’impression de choisir ce que vous allez manger. Il n’en est rien, ce n’est qu’une illusion. En fait la plupart de ces décisions ne sont pas les vôtres ! » C’est ce que nous apprend Dan Ariely, chercheur israélo-américain, professeur d’économie comportementale à l’Université de Durke, titulaire de la chaire d’économie comportementale au MIT, aujourd’hui l’un des penseurs les plus reconnus dans son domaine. Les travaux de Dan Ariely s’inscrivent dans une véritable volonté de vulgariser les théories développées par l’économie comportementale, à travers notamment des conférences (cf TED.com) et de nombreux ouvrages aux titres évocateurs : « C’est vraiment moi qui décide ? » (Predictably Irrational en VO), « Le bon côté de l’irrationalité », « L’honnête vérité sur la malhonnêteté », etc. C’est toujours au travers d’exemples passionants (plutôt testés sur le terrain qu’en laboratoire), percutants, teintés d’humour et d’originalité qu’Ariely analyse notre façon de prendre nos décisions. Et son constat est sans appel : nous sommes absolument irrationnels ! « Nos intuitions nous trompent constamment et de façon prévisible, et nous ne pouvons rien y faire ! » nous dit Dan Ariely. Nous sommes tous influencés d’une manière inconsciente par nos intuitions, nos sens, nos émotions, tout en ayant l’impression de choisir. En réalité, nous nous connaissons très mal. Nos décisions sont souvent inattendues et déraisonnables, qu’il s’agisse de nos choix économiques (comment devrais-je investir ?) ou de nos choix personnels (qui dois-je épouser ?). Pour Ariely, plusieurs forces cachées façonnent nos décisions, dont :

La comparaison

La plupart de nos choix sont dictés par la comparaison. Pour l’illustrer, Ariely donne l’exemple d’une offre d’abonnement à The Economist, testée auprès de ses étudiants. Trois options d’abonnement sont d’abord proposées à un groupe d’étudiants :

- WEB : 59 $
- PRINT : 125 $
- PRINT+WEB : 125 $

Naturellement la grande majorité des étudiants opte pour l’option « print & web » et personne ne choisit l’option deux. Ariely soumet cette fois l’option 1 et 3 en enlevant l’offre print seule. Cette fois, la plupart des étudiants optent pour l’option à 59$. Cette expérience valide l’hypothèse du leurre que joue l’introduction de la troisième option. Pour se réaliser, un choix a besoin de référents, et cette expérience nous démontre qu’ils ne sont pas absolus.

L’influence des autres

« Nous supposons qu’une chose est bonne (ou mauvaise) sur la base du comportement d’autres personnes, et nos propres actions leur emboîtent le pas ». Ariely montre à quel point nous sommes influencés par le choix et le comportement des autres. Par exemple, nous sommes toujours plus attirés par un restaurant bondé que par son voisin vide.

Le désir sexuel

L’excitation nous fait perdre la raison, et bien plus que nous ne le pensons. Nous sommes incapables de prévoir notre comportement dans cette situation.

L’effet de la gratuité

Dan Ariely démontre l’attrait irrésistible que nous avons pour la gratuité et combien celle-ci peut avoir un effet irrationnel sur nos choix. Le fait d’offrir un produit gratuit peut complètement faire pencher la balance et orienter le choix vers un produit peut être de moins bonne qualité mais avec un surplus gratuit.

La cohérence arbitraire

Dan Ariely soulève ici la question de l’ancrage psychologique et explique que nous avons tendance à déterminer la valeur des biens et services à l’aide de références, de critères de comparaison. Une fois un prix fixé, celui-ci conditionne ce que nous sommes ensuite prêts à payer pour un autre produit. Si un nouveau produit est vendu 200 euros, ce prix peut tout à fait devenir une référence aux yeux d’un grand nombre de personnes, indépendamment des considérations de l’offre et de la demande développés par la théorie économique standard. Certains prix nous servent de points de repères pour déterminer nos choix, même si ceux-ci sont obsolètes et nous conduisent vers des comportements « irrationnels ».

Dan Ariely fouille, analyse, expérimente et multiplie les exemples en tous genres. Ses expériences sur le terrain nous montrent les raisons de cette irrationalité, « cette distance qui nous sépare de la perfection ». Ariely va encore plus loin en établissant que ces éléments qui altèrent nos processus décisionnels sont tellement systématiques qu’ils en deviennent prédictibles. Nous sommes prévisiblement irrationnels dans chaque décision de notre vie. Le biais est en fait la norme. Nous faisons et nous répétons sans cesse les mêmes erreurs de jugement. Nous ne décidons pas librement et il est très facile d’orienter nos choix. Et même maintenant que nous le savons, il est probable que nous n’y changerons rien !