Caractériser socialement les individus par leur trajectoire

Les catégories socioprofessionnelles sont un critère d’analyse central des comportements et des opinions en France, au point que certains les considèrent aujourd’hui comme des « catégories quasi naturelles de représentation de notre société ». Le classement social des ménages s’appuie traditionnellement sur la PCS individuelle de la personne dite « de référence », autrement dit le plus souvent, dans les familles non monoparentales, l’homme.

Ces notions de « personne de référence du ménage » ou de « personne de référence de la famille », qui ont remplacé celle de « chef de famille », accordent ainsi la priorité à l’homme par rapport à la femme, mais aussi à l’activité par rapport à l’inactivité, voire au plus âgé par rapport au plus jeune. A l’usage, cette approche focalisée sur la PCS d’un individu actif, s’avère réductrice. Les travaux sociologiques montrent en effet, en différents domaines d’investigations (opinions politiques, famille…), que la seule PCS de l’individu ne suffit pas à l’analyse des pratiques et représentations, puisque ces pratiques et représentations se différencient aussi selon la PCS du conjoint et les origines sociales du couple.

Dit autrement, il apparaît que le « milieu familial » caractérisé par la conjugaison des PCS des conjoints et ascendants est irréductible à une seule de ces PCS, quelle que soit cette dernière.

En premier lieu bien sûr parce que la PCS des femmes est une variable explicative non négligeable, en particulier lorsqu’on s’intéresse aux pratiques éducatives dans les familles. De nombreuses études rappellent que l’activité des mères (qu’elles soient au foyer ou qu’elles exercent une profession), lesquelles restent fortement investies dans l’Education des enfants, comptent dans la transmission des statuts sociaux, notamment de leurs filles. De même, le diplôme ou la profession de l’épouse n’est pas sans effet sur les trajectoires professionnelles mêmes de leurs conjoints.

Aussi, il est possible de démontrer que la PCS de la mère nuance les classements sociaux obtenus à partir de celle du conjoint, ou parfois même s’avère plus discriminante que celle du père. Il ne s’agit pas de revaloriser la position de la femme par rapport à celle de l’homme et de substituer la PCS de la première à la PCS du second dans les analyses. Il s’agit plutôt de conjuguer les deux positions afin de tenir compte des ajustements conjugaux inhérents à la socialisation de couple, et susceptibles d’affecter les comportements et représentations habituellement caractéristiques d’une PCS prise isolément.
En effet, lorsqu’un couple se forme, les façons d’être et de penser qu’on se partageait en famille auparavant sont confrontées aux façons de faire et de penser de l’autre : des contradictions quant aux principes de socialisation apparaissent dans une même famille ; des consensus, irréductibles à la PCS de l’un ou l’autre conjoint en matière d’opinions politiques ou même de prévention sanitaire et bien sûr d’Education s’élaborent.
Dit autrement et de façon un peu simpliste, nous considérons que deux cadres n’éduquent pas leurs enfants de la même manière qu’un cadre marié à une femme au foyer, ou qu’un cadre époux d’une employée. En termes de catégories, nous émettons l’hypothèse que les associations de PCS (via les relations conjugales) forment des catégories sociales « autres » (en matière de pratiques et de représentations) que ce dont une seule de ces PCS rend compte.

En second lieu, il semble judicieux de caractériser la position sociale « globale » du ménage par les origines sociales de chacun des membres du couple. Cet intérêt pour l’origine sociale se justifie particulièrement pour les femmes au foyer dont on évalue les positions sociales par la PCS du père depuis les premiers travaux sur l’homogamie. Plus largement, des recherches notent des différences entre catégories sociales, selon que les populations sont issues de la même catégorie que celle à laquelle elles appartiennent au cours de leur trajectoire ou non. Ainsi, en matière de politique, les électorats « ouvriers », « agricoles » etc. présentent des variations selon que les actifs considérés sont eux-mêmes fils d’ouvrier, d’agriculteur etc.. On observe d’ailleurs que dans le champ des pratiques éducatives, la mobilité sociale des parents s’avère plus décisive que leurs catégories sociales.

Dans leur analyse des transmissions familiales, plusieurs chercheurs soulignent ainsi aujourd’hui la nécessité de tenir compte non pas seulement d’une lignée, mais des quatre lignées qui remontent à chacun des grands-parents : l’Education donnée résulte d’un compromis dans la gestion du double héritage parental. Dit de façon un peu lapidaire, un couple de cadres issus de deux familles de cadres n’éduquera pas de la même manière ses enfants qu’un couple de cadres issus de familles d’ouvriers…

Ces constats nous invitent donc à situer socialement les ménages non seulement par les catégories sociales des deux conjoints mais également par leur mobilité sociale respective, c’est-à-dire par les professions des parents des deux membres du couple.

Références

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