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Être customer centric : au-delà des mots, quelles conséquences ?

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« Ça y est, c'est sûr, la transformation digitale est actée ! Toutes les organisations l'ont compris. Si le digital est un terme courant presque galvaudé, le challenge principal est de comprendre les transformations qu'il a engendrées et ses conséquences : nous sommes dans l'ère où les changements d'organisations, de business model et de culture représentent la clef du succès.

De quelles modifications parle-t-on ? L'évolution des styles de vie par le déploiement des outils digitaux transforme le « client » en un nomade interactif, impatient et exigeant. Véritable partie prenante des organisations, il navigue sur les réseaux sociaux et crée de nouvelles règles de consommation. Aussi, les organisations s'ouvrent et deviennent de véritables plates-formes d'interactions entre les différentes parties prenantes. Pour les marques, il s'agit de co-travailler avec un nouveau client surinformé et toujours connecté afin de lier une relation durable. Interactivité, instantanéité et « customisation » sont les nouveaux mots pour une expérience client réussie. Il faut donc penser client everywhere and everytime. C'est ce que l'on appelle la customer centricity.

CUSTOMER CENTRICITY : RÊVE OU RÉALITÉ ?

« Le seul patron c'est le client » disait Sam Walton PDG et fondateur de Walmart. Les entreprises déclarent qu'être centrées client est une priorité, comme le mentionnait déjà le baromètre de la FNEGE (Fondation Nationale pour l'Enseignement de la Gestion en Entreprise) en 2015 qui révélait que la relation client était devenue une préoccupation centrale des entreprises (note de 4,12/5, soit le score le plus élevé du baromètre). 86 % des entreprises considèrent qu'il est normal d'exploiter les données clients d'après le Référentiel de la maturité digitale publié par IBM en 2017. En revanche, seulement 40 % des entreprises ont centralisé leurs données clients permettant une vision globale du client selon le même rapport. Les entreprises sont donc progressivement en train de passer d'une approche traditionnelle centrée produit à une approche centrée client, ce qui implique d'adopter dans les organisations une culture de la donnée. C'est donc avant tout un nouvel état d'esprit qui doit voir le jour.

Deux facteurs majeurs ont amené les entreprises à modifier leur approche : une concurrence de plus en plus vive, importante et internationale d'une part et la transformation digitale de notre société d'autre part. Le second facteur va permettre de collecter des masses de données, une belle opportunité qui offre aux entreprises la possibilité d'écouter son client et ainsi d'en enrichir sa connaissance. C'est donc aujourd'hui devenu la mutation prioritaire des entreprises et un enjeu essentiel pour toute organisation cherchant à tirer profit de la révolution digitale en cours.

Être consumer centric c'est avant tout écouter son client, pour comprendre qui il est, son style de vie, ce qu'il veut, pourquoi il le veut, à quel moment il le veut et où il souhaite effectuer son achat who, what, why, when, where. Le pourquoi est essentiel, car il répond à l'insight consommateur, et c'est le moteur principal de son achat. Pour répondre aux questions who, what, where, when and why, les données massives permettront d'identifier le parcours client, et ainsi de mieux le connaître au-delà de la segmentation démographique et psycho graphique jusqu'alors utilisées. Les nouveaux entrants sur le marché ont adopté une approche centrée client, une démarche qui implique de pouvoir fournir une solution personnalisée à chaque client. C'est le cas par exemple de BlaBlacar, Airbnb et Uber qui mettent en relation un client et une offre totalement adaptée au besoin de ce même client. Prenons le cas d'Uber, l'objectif était « d'apporter de l'innovation à un marché traditionnel, nous n'avons pas inventé la capacité de réserver un chauffeur à distance : nous l'avons rendu plus fluide, plus simple et plus ludique qu'avant » (propos tenus par le Directeur du Développement pour la France, cités dans l'IBM Référentiel de la maturité digitale, 2017). Le client est au cœur du modèle, trouver un taxi facilement et rapidement quel que soit le lieu où l'on se trouve, le retour de l'humain avec des chauffeurs plus souriants, un paiement par carte bleue, le parcours est dans son intégralité facilité procurant ainsi une expérience optimisée.

Les consommateurs s'habituent de plus en plus à des parcours toujours plus fluides et à des expériences simplifiées, ce qui oblige les entreprises à s'adapter à ces nouvelles exigences. C'est également le cas de Seb avec son robot connecté. La connectivité donne accès à de nombreuses recettes, qui sont sans cesse renouvelées. L'application Seb permet de bénéficier d'un coach qui guide le consommateur pas à pas pour réaliser sa recette de cuisine. Cette fois-ci encore le consommateur est au centre des préoccupations de l'entreprise. Seb a compris les enjeux de cette transformation et travaille sur la connectivité de ses produits et sur le développement de services associés.

Les deux exemples customer centric que nous venons de citer répondent à des insights précis. Pour Uber, les « J'en ai assez de ne pas réussir à commander un taxi ou à devoir l'attendre très longtemps » et « les chauffeurs ne sont pas aimables ». Ou pour Seb : le « J'aimerais cuisiner, je ne sais pas quoi faire à manger, et c'est trop difficile ». La capacité de l'entreprise à entretenir une relation continue avec son client dépend avant tout de ses facultés d'écoute et d'analyse.

Écouter ses clients permet de mieux les comprendre et d'identifier les insights, si précieux à l'entreprise afin de pouvoir y répondre. La prise en considération de ces insights est l'une des clefs qui permet à l'entreprise d'être customer centric.

Les interactions avec les consommateurs sont facilitées par l'environnement digital (blog, réseaux sociaux, enquêtes) dans lequel ils évoluent. Comme le dit Nadia Leroy, Chief Media & Digital Officer chez L'Oréal lors d'une table ronde dédiée à l'innovation et au cross média : « La beauté est un secteur où on aime donner son avis, se conseiller, le web est une plate-forme qui facilite cet échange. Écouter leurs conversations, sans être intrusif, mais plutôt intervenir en tant que facilitateur pour aider les consommateurs (coaching, test de produit...) est une mine d'insights pour L'Oréal ». Reste ensuite à exploiter ces contenus en continu pour permettre à l'entreprise d'offrir à son client des produits constamment adaptés.

Être customer centric, c'est aussi, grâce à l'exploitation de ces masses de données, l'opportunité pour les entreprises de personnaliser leurs offres via le digital. En tenant compte de la limite de cette personnalisation : à l'excès, elle peut enfermer les clients dans des catégories hermétiques qui ne lui offrent plus l'opportunité de découvrir d'autres produits ou services. Le client ne choisit plus par lui-même, mais sélectionne des propositions ! Mais il ne s'agit pas uniquement de penser au client lors des moments de contacts : réseaux sociaux, boutiques, etc. en améliorant le service. Mais de penser client à tous les niveaux de l'organisation de façon à le transformer en véritable pivot. La question qui se pose alors est celle de comment créer de la valeur pour le client tout au long de la chaîne de valeur ?

CHANGEMENT DE CULTURE D'ENTREPRISE ET DE BUSINESS MODEL : QUAND LES SI DEVIENNENT L'ÉPINE DORSALE DE L'ORGANISATION

Comme nous l'avons précisé, si les entreprises sont conscientes de l'importance d'avoir une approche customer centric, toutes ne sont pas encore opérationnelles dans cette approche. La transformation d'une entreprise en organisation « centrée client » implique de profondes mutations en termes de culture et d'architecture organisationnelle.

La culture de la donnée, une nouvelle culture d'entreprise

En effet, il faut penser client à tous les niveaux de l'organisation et se poser la question de pourquoi et comment créer de la valeur pour ce client ? Toutes les parties prenantes de l'entreprise : fournisseurs, salariés, cadres, distributeurs doivent avoir un seul objectif en tête : « comment bien comprendre mon client afin d'améliorer sa vie ? À mon niveau et avec mes moyens ? C'est donc une modification profonde du système de pensée. Traditionnellement centrée sur le “produit”, l'entreprise change son paradigme fondamental. Aussi, le département des ressources humaines doit adopter une vision différente sur le rôle d'un salarié en entreprise. Il ne doit pas seulement faire “son job” parfaitement, mais doit aussi se positionner en acteur actif au service du client. Il faut “évangéliser” les salariés en développant cet état d'esprit au sein des équipes. Sans être un professionnel des outils informatiques et digitaux, le personnel doit comprendre les outils mis à sa disposition. Si le point de départ est la connaissance du client, de son profil et de ses habitudes, il est indispensable de comprendre les mécanismes qui permettent de le scruter, de l'analyser et de le satisfaire afin d'améliorer son business et de déterminer les bons indicateurs de mesure de performance (KPI). Ainsi, une politique de formation préalable aux changements semble indispensable et la mise en place d'un nouveau mode de fonctionnement entre les services doit être défini.

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Un challenge organisationnel

Pour répondre parfaitement à la logique de customer-centricity, l'organisation doit adopter une architecture souple et un mode de fonctionnement réactif. Il faut travailler en mode projet, “mode start up” avec une logique de test and learn comme le souligne J. Attali, Directeur ecommerce et innovations de Etam.com lors d'une interview donnée pour le MAGIT en mars dernier. C'est en grande partie le rôle de la fonction SI (Système d'Information). Trop longtemps considérée comme une fonction support source de coûts, elle se transforme en fonction clef des organisations. Créatrice de valeur, son objectif est de donner les bons outils aux bons moments à l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise et des parties prenantes afin de permettre une orientation client à 100%. Elle devient un support essentiel à la démarche stratégique. Elle agit à la fois sur le court et le long terme : implantation des logiciels ERP/CRM et structuration de plates-formes collaboratives interactives.

Une démarche structurée et collaborative est illustrée dans le schéma ci-joint. En amont du développement d'un produit ou d'un service, l'étape clef est celle de la connaissance du client, de son écosystème et donc de la maîtrise parfaite des datas. “Sourcer”, combiner et analyser les datas on et offline afin de recueillir les informations nécessaires à la compréhension de ses clients. Puis, suivant les différentes étapes : Création et innovation – développement – production – vente distribution et SAV – les systèmes d'information permettent à l'organisation de fournir un contenu de marque, de l'échanger, le partager et le coproduire afin de maximiser la création de valeur de l'entreprise. Une bonne compréhension des métiers et une étroite collaboration entre les différentes fonctions de l'entreprise sont nécessaires. On peut imaginer l'organisation du futur comme une plate-forme ouverte sous-tendue par une fonction SI-Digitale (le Directeur des Systèmes d'Information [DSI] et le Chief Digital Officer [CDO]) transversale faisant collaborer des “techniciens de la donnée”, des spécialistes des infrastructures et des experts métier, directement reliée au CEO.

La finalité reste le renforcement de sa position sur le marché et l'optimisation de son business.

L'OPTIMISATION DU BUSINESS : VERS UN ENGAGEMENT TOTAL DU CLIENT ?

Optimiser son business, c'est plus particulièrement identifier les bons insights pour mieux satisfaire son client. Mais comment la marque doit-elle faire vivre la relation avec son client ? Certainement pas en le surchargeant de messages qui pourraient devenir étouffants. 46 % des Français se sentent poursuivis par les marques sur Internet et 36 % utilisent ad-block pour les bloquer d'après une étude menée par Adobe et repérée sur le site web ladn.eu.

Une relation constructive pour la marque est d'identifier précisément le type d'informations que le consommateur recherche pour lui simplifier son parcours d'achat (les bons insights). Ces informations doivent être fidèles à l'identité de la marque et à sa promesse, socle d'une relation client basée sur la confiance. La qualité et la fiabilité de l'information disponible, à travers les différents points de contact, sont fondamentales pour le consommateur, et la quantité doit être réduite afin de ne pas perdre les clients dans leur recherche. Simplifier la décision du consommateur pour l'accompagner dans son choix, c'est répondre à ses attentes fondamentales, l'écouter, le renseigner, le conseiller tout en lui apportant de la valeur pour répondre à son problème. Si ces règles sont respectées, naîtra alors une relation de confiance, qui offrira au client une expérience positive.

La satisfaction pourra alors déclencher, son attachement à la marque, attachement qui ne passe plus exclusivement par des opérations de fidélisation. L'agence Fullsix a réalisé une étude en juin 2017, démontrant que les entreprises ne doivent plus chercher à tout prix à retenir leur client, mais plutôt que la stratégie relationnelle doit se concentrer sur une conquête perpétuelle de son client. Toujours selon Fullsix, cette séduction passera par les ressorts émotionnels qui lient une marque à ses clients. Le fruit de cette stratégie relationnelle pourrait à l'avenir favoriser l'engagement du client à la marque, il pourrait devenir ainsi un véritable ambassadeur de celle-ci. Il est donc essentiel pour l'entreprise d'identifier ces leviers grâce aux données dont elle dispose aujourd'hui. Au delà de la fidélité, la marque va chercher l'attachement et l'engagement du client afin qu'il soit un ambassadeur.

Si la transformation digitale est actée, elle est multiple, complexe et induit des évolutions de comportement et de culture. En effet, elle se situe au croisement des innovations technologiques, en accélération constante, et des changements que ces innovations induisent pour les individus, les entreprises et la société. Ces changements profonds qui créent de réelles opportunités, peuvent aussi engendrer des risques. Plus particulièrement, une organisation évoluant vers le customer centricity, alimentée par le Big data, peut collaborer étroitement avec ses clients, créer un attachement à sa marque et les engager dans son développement comme de vrais partenaires. Mais l'organisation doit impérativement contrôler ces données sur toute la chaîne de valeur : quelles données collecter ? Comment leur donner du sens et les utiliser ? Et avec qui les partager ? sont des questions clefs à se poser pour la réussite de ces organisations, sous peine de perdre les clients à tout jamais. Des questions de sécurité et d'éthique se posent donc. L'organisation doit contrôler les données qu'elle collecte, transforme et utilise dans un cadre de gouvernance bien établi, dans le respect des règles de protection et de manière à créer de la confiance avec ses clients et son écosystème.